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tenir, mais il a voulu insinuer qu’une femme ne résiste guère à la vanité d’être flattée, ni au trouble que verse en elle l’appel d’une tendresse passionnée… Au fait, est-ce que Cyrano de Bergerac n’avait pas lu Riquet à la Houppe ? C’est fâcheux que les contes de Perrault n’eussent pas encore paru. Il y aurait appris, de son prédécesseur en difformité, que bien parler compte plus qu’être bien fait. Et ce n’est pas pour Christian, mais pour lui-même, qu’il aurait conquis, à la pointe des mots, le cœur de Roxane.

Cependant, une métamorphose s’opère chez la princesse : depuis qu’elle aime, il lui pousse de l’esprit. C’est pour tout son entourage une stupeur :


Qui l’eût cru, Clair de Lune ? — Écuyer, qui l’eût dit ?


Son père surtout n’en revient pas. Sa fille, — est-ce bien sa fille ? — se moque des gens le plus agréablement du monde ; elle fait des mots ; elle trouve des images et des tropes. Elle qui de sa vie n’avait ouvert un livre, la voilà qui lit couramment et même entre les lignes. Elle joue du luth sans avoir jamais appris. Elle fait des vers et ce sont des vers parnassiens, où la rime est riche et d’où sont bannies les licences poétiques, suivant la meilleure doctrine du Petit traité de Poésie française. Un peu plus, et les bas de la princesse Rose seraient bleus…

Ici encore il me semble que le conteur emploie les mots dans un sens qui n’est pas celui où nous les entendons habituellement. Oui, l’amour donne de l’esprit aux filles, mais de cet esprit qui fait les affaires de leur amour. Agnès, qui est sotte, trouve dans son amour, ou dans son goût du plaisir, tout l’esprit qu’il lui faut pour berner Arnolphe et donner du contentement à Horace. Molière n’a point prétendu qu’elle devint subitement artiste, critique, poète et musicienne : elle manque un peu trop de préparation. Mais c’est que l’École des femmes est une comédie de mœurs : Riquet à la Houppe n’est qu’un conte bleu.

Tant y a que les plus grands princes de la terre, apprenant qu’il existe une princesse riche d’esprit, de beauté, de vertu, et pauvre de dot, s’empressent de prétendre à sa main… Cela aussi me semble en dehors des usages et à l’encontre de toutes les traditions de la diplomatie. Ce n’est point au visage des princesses, ni à leur esprit que regardent les chancelleries, c’est à leurs mains pour savoir combien elles y apportent de provinces. Ainsi s’accroissent les Empires, grâce à de fructueuses alliances : Felix Austria nube !… Le prince d’Aragon, celui d’Illyrie et le prince du Maroc accourent où brille cette étoile. Ils