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dans ses bras sa poupée qu’elle plaint d’être malade. Elle commence un conte de nain et de géant qui l’a émerveillée, et s’arrête au milieu sans en pouvoir jamais retrouver la fin. Est-ce là une sotte ? Non, mais plutôt une innocente. Elle a la raison d’un enfant de sept ans ; elle est en retard ; son intelligence n’est pas encore développée : ce n’est pas du tout la même chose que de posséder une de ces sottises épanouies, encombrantes et agressives, telles que nous en connaissons tous et qui sont incurables. Mais d’être trop jeune, c’est un mal dont chaque jour nous guérit. Le roi Myrtil a tort de se tant désoler. Lui non plus, ce bonhomme de roi, il n’est pas très intelligent. Serait-ce de lui que tient sa fille ?

Cependant arrive Riquet à la Houppe. « Qu’il est laid ! » s’écrie la princesse, et elle s’enfuit. « Qu’elle est belle ! » s’écrie Riquet, et il va conter sa peine aux arbres de la forêt, aux fleurs du buisson, aux vents qui l’iront dire aux dieux :


C’en est fait, ce triste cœur bat.
La fièvre me dévore et sous l’ombre des chênes
Je me traîne, lié par d’invisibles chaînes,
Et prisonnier de guerre et vaincu sans combat.
Hier encor je bravais l’adorable martyre
Qui me brûle et m’attire.
Toi qui m’as pris, amour, dans ton filet,
Dis, que faut-il que j’ose ?
A mon aspect on fuit, tant je suis laid,
Et je suis fou de la princesse Rose...


La princesse l’entend sans le voir, ce qui était précisément la scène à faire : les marraines fées savent leur métier, comme le savait M. Scribe. Elle l’entend qui vante la beauté de sa princesse et dépeint son propre tourment ; c’est ce qu’on dit toujours quand on aime et il n’y a rien d’autre à dire : on dit la même chose, parce que c’est toujours la même chose. D’entendre cette voix qui soupire et ces accens qui viennent du cœur, la princesse en est tout émue, et, quand Riquet reparait à ses yeux, à travers quel voile l’aperçoit-elle ? mais elle ne le trouve plus si laid : l’amour l’a métamorphosé.

A vrai dire, le conte joue un peu sur les mots. Il prend ce mot d’ « esprit » dans un sens assez spécial. L’esprit de Riquet à la Houppe consiste à bien parler des choses de l’amour ; c’est un esprit qu’on trouve souvent chez des hommes qui n’ont guère d’esprit, mais qui sont très amoureux. Avoir de l’esprit, c’est autre chose et qui ne vous fait pas toujours aimer. Le conteur narquois savait à quoi s’en