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baptême, a, par vengeance, jeté un mauvais sort. Riquet à la Houppe est spirituel, mais il est laid, plus que laid, épouvantablement laid. La princesse Rose est belle, mais elle est sotte ; ce n’est point cette sottise qu’on rencontre assez souvent chez les belles personnes et que fait passer un joli visage : c’est une sottise à décourager un amoureux. Comment corriger cette double disgrâce ? Les bonnes marraines qui, sous leur air d’éternelle jeunesse, sont de très vieilles personnes, et qui ont une longue expérience, savent un remède, et souverain. Que ce spirituel nabot se fasse aimer de cette beauté : il cessera d’être laid, dans le même temps qu’elle cessera d’être sotte. L’amour aura fait, d’un seul coup, ces deux miracles, ce qui n’est pas pour l’embarrasser. Tel est le plan que combinent les deux fées, et ce sera toute la pièce... Pareillement, dans les tragédies antiques, nous entendons, au prologue, converser des divinités rivales. Il apparaît ainsi que nous vivons nos destinées, mais que d’autres en tiennent le fil. Ces drames humains, où nous mettons tout notre cœur et qui nous coûtent tant de larmes, ne sont que des jeux divins.

Donc nous sommes à la cour familiale et falote où le roi Myrtil habite, dans la verdure et dans les fleurs, le château de la Misère. Il a pour conseiller son fou, comme il convient à un roi de légende. Et tous deux se lamentent sur le pitoyable état de leurs affaires. Dans le trésor, le vide absolu : nous manquons d’or vierge et d’argent monnayé. Pas d’argent, pas de courtisans. Les chiens eux-mêmes sont partis, sans doute ayant appris de leurs frères les rats qu’il faut quitter le bâtiment en détresse. Et pourtant ce n’est ni la misère, ni l’abandon qui causent au roi Myrtil son pire tourment. Tout le chagrin de sa vie ne lui vient que de sa fille, la princesse Rose. Vainement chacun s’accorde à vanter la beauté de la princesse, et vainement Clair de Lune en fait ce portrait ressemblant :


Sire, elle est belle comme le jour.
Joie et ravissement des yeux mortels, amour
De la lumière dont le baiser la caresse,
Son visage et son air sont d’une enchanteresse.
L’abeille sur sa lèvre irait prendre le miel.
Ses yeux mystérieux sont comme un profond ciel.
Et le tragique hiver cesse d’être morose.
En voyant les regards de la princesse Rose
Que la pervenche trouve aussi doux que les siens.


« Possible ! répond le roi Myrtil ; mais ma fille est bête comme une oie. » Nous allons nous-mêmes en juger. La princesse Rose arrive, tenant