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Une telle race ne meurt pas.

Celle-là allait, durant le nouveau siècle, pousser de vigoureux rejetons.

Se rappelle-t-on ces deux frères qui, le 1er avril 1759, à Minden, tombaient sous les yeux de leur vaillant père ? De l’un et de l’autre sont sorties ces deux branches parallèles de Vogüé, chargées aujourd’hui de fleurs et de fruits superbes.

Des assemblées politiques et des académies aux champs de bataille, des Vogüé parviennent encore à illustrer leur race. Rien n’émeut plus que cette dernière ligne de la généalogie où j’aperçois de front les descendans des deux blessés de Minden. On dirait d’une ligne de bataille, après la bataille. Passant sur le front de cette ligne, je vois Robert, tué à Reichshoffen (1870), Joseph, tué à Loigny (1870), Henri, tué à Sedan (1870). Les autres, remettant l’épée au fourreau, travaillèrent au relèvement.

Naguère encore ils étaient deux qui, descendans des deux frères, se rencontraient à l’Académie française, l’éminent savant dont l’œuvre a fait toute la substance de cette étude, et cet autre, Eugène-Melchior de Vogüé, qui fut un des guides de ma jeunesse et à qui sans cesse ma pensée reconnaissante me ramène. Que de fois, retrouvant chez vingt Vogüé, ses ancêtres, ce mélange singulier de force et de finesse, de générosité et de raison, j’ai évoqué Eugène-Melchior de Vogüé ! Le revoyant, j’eusse retrouvé cette lignée qu’aujourd’hui je connais mieux ; mais à travers l’homme déjà, je devinais cette race.

Un jour qu’Eugène-Melchior de Vogüé venait, dans son cabinet, de déplorer la perte de quelques illusions, il craignit de m’avoir découragé. « Nous n’avons jamais le droit de penser que ce pays-ci ne se tirera pas de cette fange-là. Il en a vu et fait bien d’autres. Il nous a, cela est clair, à tout jamais interdit de douter de ses réveils. Aimez-le, servez-le... et vous verrez. »

Il était de la Maison. Vigilantia et fortitudine : vigilance et courage !


LOUIS MADELIN.