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à sa fortune, tous les impôts pécuniaires, » il avait, le 2 avril, adressé au président du Tiers une lettre où il renonçait d’avance « à tous les privilèges dont il jouissait à cause de ses baronnies, » sacrifice accueilli par les acclamations de toute la réunion. En travaillant d’autre part à l’accord des trois ordres, Cérice restait, nous le savons, dans la tradition de sa maison. Son aïeul du XVIe siècle, Guillaume, avait dû concilier des Français divisés après la bataille : son descendant essayait maintenant d’éviter la bataille en faisant noblement aux circonstances la part que lui paraissaient exiger tout à la fois le cœur et la raison.

C’est pourquoi sans doute, deux ans après, un député du Tiers vivarois incitait, dans une lettre incendiaire, le peuple de Villeneuve-de-Berg et autres lieux, à détruire les châteaux de son collègue Vogüé, notoire contre-révolutionnaire. Le futur baron Boissy d’Anglas encourageait le souverain populaire à se montrer plus ingrat encore que Richelieu lorsqu’il rasait le châtelet de Vogüé.

Si un Boissy d’Anglas en est là en 1791, on pense si les bandes révolutionnaires respecteront le domaine. Nul n’était plus que le comte de Vogüé autorisé à émigrer. Il ne le fit cependant qu’à toute extrémité, après la chute du trône qui lui parut, à tort, la fin de la France. Il fut de cette dernière équipe d’émigrés qui, bien différente des premières, ne sortit de la maison que lorsque déjà tout brûlait autour d’eux. Que, dans l’espoir d’étouffer l’incendie, l’ancien maréchal de camp se soit jeté dans l’armée des princes, rien là ne peut nous étonner. Les Vogüé avaient, depuis six siècles, incarné dans le Roi l’idée française. Au moment où le Roi, déchu et captif, allait être jeté à la guillotine, on comprend qu’ils aient cherché, avant toute chose, le moyen de le sauver per fas et nefas. On ne rompt pas en un jour des liens qu’ont noués six cents ans.

Lorsque, douze ans plus tard, n’ayant bien, semble-t-il, gagné à l’Émigration qu’un surcroit de haine pour l’étranger, Cérice de Vogüé rentra en France, le domaine n’existait plus. La terre lentement assemblée était aliénée et dispersée. Les descendans de l’Emigré, entraînés par le mariage de Charles, son fils, vers d’autres provinces, Bourgogne et Berry, s’y allaient transplanter. Des ruines de Rochecolombe aux noires rues d’Aubenas, la Maison de Vogüé disparaît.