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le premier de ces livres de raison qui, poursuivis cent vingt ans par lui et ses descendans, fourniront à leur historien les précieux documens que l’on pense. A travers ces vénérables livres (que M. le marquis de Vogüé décrit d’une plume émue), on voit se succéder tous les événemens de famille, mais sans cesse revient la mention d’une acquisition ou d’un établissement : Georges crée des prairies, des vignes, des vergers, il achète des moulins ; il fait profiter ses voisins et ses tenanciers de ses provisions de semence ; il enrichit le pays tout en s’enrichissant. De quel amour il doit chérir une terre qui le nourrit, mais que chaque jour il rend plus féconde et plus belle !

Voici cependant que le Roi l’appelle ? A la Cour ? Non : il ne partirait pas si vite. A la guerre ! Il y court, laissant là prés, vignes, moulins. Lui et ses frères, sous le commandement de Turenne, prennent une part glorieuse à la guerre de Hollande où l’agriculteur de tout à l’heure commande la cavalerie légère. Seulement, la guerre finie, le guerrier se refait cultivateur.


lisseront tous ainsi. En vain autour d’eux le monde change. Ils prennent simplement des nouvelles modes ce qu’il leur convient d’en prendre. Les fils de Georges sont élevés au collège des Quatre-Nations à Paris et goûteront de telle façon aux plaisirs de la capitale qu’il faudra que le bon abbé de Pommerols rassure leur mère en des lettres bien amusantes. Mais l’ainé, Cérice-François, après une campagne dans le régiment du Roi en 1703, consent bien volontiers à recevoir des mains de ses parens une femme qui le ramène à sa province où « il sera heureux et aura beaucoup d’enfans, » — dix-neuf, à bien compter. Et le voici qui, maître de Vogüé, joindra l’industrie et le commerce à l’agriculture, fondant une verrerie après une scierie et exploitant les sources de Vals, situées dans son domaine. Heureuse circonstance ! Car lorsqu’en 1730, il faudra acheter une compagnie à François dans le régiment d’Armenonville, une lieutenance à Félix dans le Maine-Infanterie, l’intendant Dupuy partira pour Paris emportant, avec 2 000 livres, vingt caisses d’eau de Vais. En dernière analyse, tout aboutit à permettre à des Vogüé de répandre leur sang sur les champs de bataille.

Charles de Vogüé fut le plus illustre soldat de la famille. De 1733 à 1782, il portera l’épée ; d’Italie où, sous Villars, il combat