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rurale » dont l’historien signale avec raison la constitution en ces jours du XVe siècle ; car une véritable bourgeoisie campagnarde, dès cette époque, traite presque de puissance à puissance avec les seigneurs : une scène pittoresque qui a pour théâtre la petite place de Rochecolombe nous montre Pierre échangeant des signatures avec les descendans des anciens serfs de son domaine tandis qu’interviennent ces hommes de loi des petites villes voisines dont les descendans parviendront bien vite aux hauts emplois, à « la robe, » bientôt à « l’épée. »

La terre rapproche ceux qui l’aiment. Pierre de Vogüé est le type du « bon seigneur » veillant au bien de tous. N’est-ce pas lui qui, à Vogüé, entreprend de bâtir un pont auquel tout le monde aspire, à ce point que le légat du Pape intervient pour accorder de larges indulgences à qui collaborera à sa construction ? Heureux temps où la main-d’œuvre se pouvait payer de cette monnaie !

Quoi qu’il en soit, on comprend de quelle influence jouissait ce vieillard et combien, par le seul rayonnement de son loyalisme, l’ancien soldat de la guerre de Cent Ans pouvait encore servir son Roi.

De 1469 à 1555, on voit ses fils et petits-fils Antoine et Jean continuer son œuvre, fortifiant leur maison, arrondissant leurs terres, administrant leur bien et élevant leurs enfans. Ceux-ci sont fort nombreux. Antoine a eu dix enfans ; Jean son fils en a onze ; Guillaume de Vogüé, fils de Jean, en aura neuf et son fils Melchior autant, en attendant (au XVIIe siècle) les dix enfans de Georges, les onze enfans de Melchior II, les dix-neuf enfans de Cérice-François. Tels chiffres nous étonnent : ils n’étonnaient pas alors. Les Vogüé et leurs contemporains avaient devant les yeux le Croissez et multipliez-vous, et leur foi ne leur permettait pas sur ce point comme sur aucun autre la moindre défaillance.

Antoine s’étant absorbé dans les soins domestiques et l’éducation de sa petite tribu, ses fils furent appelés à des services plus actifs. Voici que de nouveau, mandés par le Roi, les Vogüé ceignent l’épée.

Ce sont guerres de conquête qui se préparent. La France a chassé l’Anglais sous Charles VII : elle s’est, sous la main de fer de Louis XI, constituée en puissante nation par la réunion des grands fiefs ; ramassé sous la main du Roi, le pays est prêt à s’élancer. Il s’élance. Il court, — en attendant le Rhin, — vers