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Pierre de Vogüé est trop petit seigneur pour pouvoir jouer un rôle très marquant en ce drame. Il joue celui qui, toujours, sera celui de sa race. Loyaliste d’instinct, il va droit à ce qui lui paraît la cause nationale. Encore que le Midi soit, — paradoxalement, — en partie « bourguignon, » lui se déclare sans ambage contre le Bourguignon allié de l’étranger. Il bataille quelque temps parmi les fidèles du roi Valois. Et lorsque la prodigieuse intervention d’une fille du peuple, issue des marches de Lorraine, a rétabli la fortune du roi Charles VII, il sent que sa place est maintenant dans son canton cévenol. Ce n’est pas tout en effet que le « gentil roy » soit sacré à Reims ; ce n’est même pas tout qu’il soit rentré dans sa capitale. Toute la France, du Nord au Sud, est subversée ; telle province est encore pour Bourgogne, telle autre pour France. Le Languedoc a, en grande majorité, abandonné la cause royale, mais sur son flanc une petite province reste fidèle. C’est que les gentilshommes de cette province appuient le roi Valois contre les alliés du roi Lancastre et, au premier rang, Pierre revenu du Nord, où il a servi par l’épée, dans les cantons ardéchois où il sert encore, où il sert toujours. Et le petit Vivarais fait beaucoup pour ramener le grand Languedoc à la fidélité.

En février 1437, le Roi restauré apparaît dans ce Midi mal pacifié encore. Charles vient lui-même présider les États du Languedoc auxquels, « pour la guerre et la défense du royaume, » (car l’Anglais n’est point encore chassé de partout) il demande « une ayde extraordinaire, » — impôt que chacun paiera, nouvelle forme du « service. » L’ayde est votée et naturellement Pierre de Vogüé est tout désigné pour le nouveau service : il sera un des « élus » qui procéderont à la levée de l’ayde.

Il est d’autant plus désigné que son influence a grandi avec sa fortune. Cette fortune, elle continue à se traduire en acquisitions terriennes. Ce soldat de la guerre anglaise, cet élu des États du Languedoc reste ce qu’étaient avant tout ses pères : un homme de la terre. « Prés et terres à Saint-Maurice, à Lanas, dans la vallée de l’Auzon et celle de l’Ibie viennent s’ajouter au domaine et augmenter sa surface exploitable : cens et rentes, inféodations diverses, viennent accroître ses revenus en argent. »

Comme ses ancêtres encore, Pierre entretient de cordiales relations avec ses tenanciers et aussi avec cette « oligarchie