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La première de toutes, Guillemette de Laudun avait puissamment soutenu son mari Raymond II dans sa longue tâche. Lorsque celui-ci mourut, chargé d’années, le domaine reconstitué permettait aux Vogüé, tirés de pair, de jouer un rôle important dans la petite province. Il avait, des premiers, affranchi ses serfs et s’était par là valu un surcroît de popularité, si bien qu’à l’heure où Arnaud de Vogüé, évêque de Viviers, amenait le Vivarais à la couronne des lys, ce n’étaient pas des seigneurs insignifians que les neveux voués par lui du même coup au service de la douce France.


Les trois seigneurs qui, de 1320 à 1417, se succèdent dans le fief, se contentent, à la vérité, de bien servir le Roi, sur place, tout en arrondissant le domaine par d’honnêtes travaux. Paris leur paraissait loin et d’ailleurs, en dépit des premiers désastres de la guerre avec l’Anglais, le Roi ne semble pas encore si menacé que, de cantons si lointains, il soit nécessaire qu’accoure sa chevalerie. Les Vogüé, dévoués sans ambition à la France, l’assoient dans leur province récemment annexée.

Mais viennent les grands troubles et pour la Monarchie des lys les grands périls, le seigneur de Vogüé dépendra l’épée du croc. C’est Pierre IV, arrière-petit-fils de Raymond II, qui, à l’appel du Roi, part pour Paris. Il y est le 24 janvier 1416. Dans cette chronique épique, la première arrivée d’un Vogüé à Paris me parait un épisode particulièrement émouvant. Qu’on songe que, dès lors et pendant quatre siècles, sans cesse, contre les ennemis du royaume, des Vogüé viendront semblablement de leurs Cévennes mettre leur épée au service du Roi. Lourde épée de fer de Pierre IV qui va pourfendre l’Anglais du XVe siècle, fine épée d’acier de Charles de Vogüé qui, au XVIIIe, désignera aux habits bleus de France Autrichiens et Prussiens à enfoncer, vous êtes de la même trempe. Sur votre lame je vois gravée la devise qui sera celle d’un des vôtres : Vigilantia et fortitudine. Pierre IV vint mettre ces deux qualités maîtresses à la disposition du roi Charles VI. Pauvre roi ! Il aurait grand besoin que tous autour de lui fussent vigilans et courageux. Car tout l’abandonne. Et, de Paris aux plus lointaines provinces, c’est une mêlée confuse où s’obscurcit la conscience nationale, où semble près de sombrer l’âme d’un pays.