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Peut-être ce prélat n’avait-il pas entrevu la conséquence de la réaction anti-albigeoise : il parut même l’avoir redoutée après coup. C’était l’apparition dans les pays de langue d’oc des agens du roi de France. Tout portait alors les rois de Paris vers le Midi et bientôt le Midi vers les rois de Paris. De ce dernier fait je n’en veux qu’une preuve. Alors que Geoffroi s’était encore tourné vers la maison de Hohenstaufen, son petit-neveu Arnaud de Vogüé, devenu évêque de Viviers, est de ceux qui délibérément rompent avec le petit-fils de Barberousse. S’arracher à la suzeraineté de l’Empire, c’était se jeter dans les bras du roi de France. Le Roi attirait : il s’appelait Louis IX le Saint. L’ombre du chêne de Vincennes s’étendait tous les jours davantage. Les Vogüé venaient avec Arnaud au souverain qui, en face de l’Empire croulant, mettait si haut la France. C’étaient de précieux sujets qui venaient à celle-ci.

Ils l’étaient d’autant plus que Raymond de Vogüé (1166) venait, en reconstituant le domaine, d’accroitre singulièrement son influence. Rachetant tout ce qui, autour du château des aïeux, avait été aliéné, ainsi que les droits de ses cousins sur le château lui-même, il avait restauré le fief en sa plénitude et, sans abandonner encore Rochecolombe, il avait refait de Vogüé le centre d’un domaine relativement considérable.

J’aimerais pouvoir reproduire ici la page émouvante qu’à cet instant de sa chronique, M. de Vogüé consacre à la terre des aïeux. C’est le récit de la première visite que, déraciné maintenant du Vivarais, l’historien fit, le cœur en émoi, aux lieux où, six cents ans, avait vécu sa famille. Rien qui, en cette page, sente la littérature. On y voit vibrer une âme très noble et s’illuminer encore un esprit nourri des souvenirs de sa race. Tous ressuscitent dans ce cadre, tous vivent à nos yeux. Je ne connais qu’une page aussi belle, c’est celle où, dans une autre partie du livre, l’historien parle des femmes qui se sont succédé à Rochecolombe, puis à Vogüé. C’est une pensée touchante que ce tribut d’hommages à celles qui, pendant que les seigneurs de Vogüé remplissaient leurs missions d’administrateurs du domaine, de représentans de la province et de soldats de France, restaient les gardiennes du foyer, les éducatrices des enfans, les pieuses et précieuses matrones qui remplirent elles aussi leur tâche, modestement, vertueusement, concourant, par leur sagesse embellie de grâce, à l’édification de « la maison. »