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l’évêque comte. Cette indivision pesant sur le domaine patrimonial dut paraître trop gênante à l’un des co-seigneurs, Raymond, qui acquit, à une lieue de Vogüé, dans une gorge sauvage et sur un rocher isolé, ce nid d’aigle paradoxalement appelé Rochecolombe dont M. le marquis de Vogüé, mettant une plume charmante au service de sa science archéologique, nous fait une description qui eût ravi d’aise Victor Hugo. Celui-ci eût sans hésiter mis de toutes pièces au fond d’une de ses scènes ce noir donjon à la forte porte de fer, planté sur sa falaise cévenole, tandis que le village « dévale comme une avalanche de pierres » jusqu’au torrent qu’on ne peut franchir que par un pont étroit, seul accès à la porte des souterrains.

Rochecolombe restera le siège favori et la résidence ordinaire des Vogüé jusqu’à l’heure où ils regagneront Vogüé, rendu à un seul maître et devenu le centre d’un domaine arrondi. La romantique Rochecolombe représente bien une phase de l’histoire ; Vogüé, avec son exploitation rurale, en caractérisera une autre ; l’hôtel de Vogüé à Aubenas en évoquera une troisième. Le vieux Rochecolombe, c’est « l’image saisissante de l’association féodale, le manoir protégeant la chaumière, la chaumière nourrissant le manoir. Entre l’un et l’autre, ajoute l’historien, les rapports ont toujours été bons : nos modestes annales n’enregistrent aucune trace de violence : le temps seul a eu raison de l’association. »

C’est du haut de Rochecolombe que les Vogüé virent se jouer autour d’eux le drame albigeois. On sait assez comment l’hérésie albigeoise, après avoir divisé le Midi, provoqua l’intervention des seigneurs du Nord, soldats en principe de la Papauté contre l’hétérodoxie, en fait fourriers du roi de France dans les pays de langue d’oc : la « croisade » ne profita qu’à ce politique consommé que fut Philippe-Auguste.

Les Vogüé étaient, d’instinct, orthodoxes. À l’heure où bien des évêques même du Midi avaient paru pencher vers l’hérésie et y tomber, un Vogüé, homme d’Église, devenu évêque de Saint-Paul-Trois-Châteaux, s’était énergiquement prononcé, contre l’hérésie encore triomphante, en faveur du Saint-Siège outragé. Cet évêque Geoffroi, parla même, marqua sa place dans l’événement et, partant, garde de l’importance dans la famille. On possède son sceau où son effigie est visible : « notre plus ancien portrait de famille, » écrit M. de Vogüé.