Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/417

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans se priver, pour cela, du talent dont on repoussait une seule manifestation. D’autre part, la proscription a tenu souvent non pas à l’opinion propre du jury, mais à celle du temps, elle jury a été souvent plus libéral que le public et que les révolutionnaires eux-mêmes. La fameuse Olympia de Manet a été reçue en 1864, et ce n’est pas le Jury, mais c’est le révolutionnaire Courbet, qui s’écriait en la voyant : « C’est plat, ce n’est pas modelé. On dirait une dame de pique d’un jeu de cartes, sortant du bain ! » Les reproches faits au jury sont donc très exagérés. Il est vrai que le jury a refusé de grandes signatures ; il n’est pas vrai qu’il ait refusé de grands chefs-d’œuvre. Il faut se déshabituer de cette idée, que n’importe quel tableau est bon, quand il est signé du nom d’un homme qui a fait des tableaux admirables, c’est-à-dire qu’un homme qui en a fait de bons n’ait pas pu en faire de mauvais.

Il y a des exemples typiques. Jules Breton nous raconte, dans ses Mémoires, que son tableau Misère et Désespoir, sur lequel il comptait beaucoup, fut reçu par le jury en 1849, mais que lui-même il en fut très mécontent, qu’il le roula et l’oublia, à l’humidité, dans un coin de son atelier et le laissa pourrir. Eh bien ! si ce tableau, condamné par son auteur même, avait été refusé à ce Salon de 1849, quels cris d’indignation ne pousseraient pas, aujourd’hui, les critiques en écrivant l’histoire de ce jury ! Or, quand nous nous souvenons que Chassériau a détruit sa Cléopâtre refusée, que Millet a repeint sur son Saint Jérôme refusé un autre sujet, que Rousseau est revenu sur son Allée de Châtaigniers refusée et l’a repeinte en partie, que le Baptême du Christ de Corot n’était qu’une esquisse, et qu’aucune des œuvres de Puvis de Chavannes refusées, de 1850 à 1859, n’a pu être produite depuis par ^es admirateurs, il est permis de supposer que toutes ces épaves, bien que signées de noms illustres, n’étaient peut-être pas beaucoup supérieures au tableau signé : « Jules Breton, » et que Jules Breton, sans y être obligé par personne, a désavoué.

Et puis, les refus, ou si l’on veut les persécutions, n’ont jamais tué un grand artiste, pas plus d’ailleurs que l’indulgence et la protection n’en ont jamais fait naître. Lorsque Castagnary écrivait en 1876 : « Avant d’aborder l’examen des œuvres du Salon, je formulerai le cahier des humbles, des oubliés, des dédaignés, des bafoués, des proscrits par rancune, des reçus par ironie, de