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en les isolant convenablement de leurs voisines, ce qui est impossible avec cinq mille cadres, ce qui serait aisé avec mille ou douze cents. À ces conditions, le public des amateurs reprendrait le chemin du Grand Palais, dans de tout autres sentimens, poussé par une curiosité toute nouvelle. Ce ne serait plus la promiscuité, le désordre et le tintamarre d’une réception monstre ou d’une réunion publique : ce serait un Salon.

À cela, quelles objections peut-on faire ? Aucune qui vaille du point de vue de l’Art, ni du point de vue des jeunes artistes de talent. Nul Maître n’est fondé à prétendre que le Salon suffit à déceler le talent, qui, pour sa part, expose en d’autres « galeries, » ou, tout au moins, à son club. Car s’il croyait que le Salon suffît, il n’exposerait pas ailleurs. Or, ce qui ne suffit pas à un Maître déjà connu et considéré, comment suffirait-il au nouveau venu que rien ne désigne, sinon son talent ? Le Salon lui suffirait, il est vrai, s’il était organisé comme une exposition particulière, fermé à la foule des peintres sans valeur et des amateurs, jalousement gardé par un jury inamovible et tenu, lui-même, d’y réserver toute son œuvre. Et cela, c’est l’ancienne Académie royale, — ou à peu près.

Eh quoi ! dira-t-on, l’Académie royale ! L’Institut ! Oubliez-vous ses erreurs, ses préjugés, ses crimes ? N’est-il pas avéré que l’ancien jury de l’Institut a proscrit tous les novateurs, tous les inspirés, tous les maîtres : Delacroix, Millet, Rousseau, Corot, Chassériau, Barye, Chintreuil et tant d’autres ? Et qu’il ne reste plus aujourd’hui, vivans dans l’Histoire de l’Art, que ceux qu’il a refusés ?

En effet, c’est avéré ; malheureusement, ce n’est pas tout à fait vrai. Les crimes de l’ancien jury de l’Institut ont été fort exagérés par la légende. C’est une histoire de brigands, qu’on raconte aux jeunes artistes pour les endormir. Elle ne supporte pas l’examen d’une critique un peu défiante et d’un regard un peu attentif. Si nous parcourons, en effet, l’histoire des « grands refusés, » voici ce que nous trouvons. On a parfois refusé des œuvres d’un Maître, mais on a souvent accepté, au même Salon, d’autres œuvres du même Maître. On a refusé, en 1836, des petits groupes de Barye, mais en recevant son Lion au repos, qui valait dix fois ses petits groupes. On a refusé, en 1845, une Madeleine de Delacroix, mais il en avait envoyé deux et l’on avait accepté l’autre. On a donc refusé souvent faute de place et