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l’Art officiel et la tyrannie des jurys, par l’histoire et surtout la légende des génies méconnus et des grands refusés de l’Institut. Et aujourd’hui, que nul n’est plus empêché d’exposer, — fût-ce aux Indépendans, — et que l’État protège également toutes les « tentatives, » fût-ce les plus saugrenues ; qu’ainsi, tout le danger, pour les talens nouveaux, est, non pas qu’on ne voit pas assez de peintures, mais qu’on en voit trop, — et que les leurs passent inaperçues au milieu de la foule, nous continuons de faire, par atavisme, le geste de protestation qui avait sa raison d’être autrefois, et nous ne faisons pas le geste de sélection qui serait nécessaire aujourd’hui.

Aujourd’hui, en effet, la grande question, pour un jeune artiste de talent, n’est pas d’être reçu, c’est d’être vu, c’est-à-dire d’être jugé. Or, s’il expose au milieu de 8 339 autres œuvres d’art, il passe des années sans l’être. La masse des œuvres médiocres, énormes, tapageuses, criardes, écrase son œuvre ; l’irritation qu’elles causent au visiteur amène devant lui un juge prévenu. S’il peut s’en aller, exposer seul dans quelque « galerie, » il est sauvé. Les exemples abondent qui le prouvent. Mais s’il ne le peut pas, le jeune artiste reste aussi obscur et ignoré, au milieu du Salon, que s’il avait été refusé.

C’est donc pour lui, comme pour nous, qu’un Salon fermé est nécessaire : j’entends par « Salon fermé » celui qui serait composé de ce que les deux sociétés, — Société des Artistes français et Société nationale, — contiennent d’intéressant et allégé de ce qu’elles contiennent d’inutile : une collection de 1 000 à 1 200 toiles, tout au plus, rassemblées par un jury inamovible, — l’Académie des Beaux-Arts, par exemple, — et qui dirait au public : « Voilà ce que nous faisons, et voilà ce que nous trouvons bien parmi ce que font les autres. Nous en prenons la responsabilité. » Bien entendu, pour que cette collection eût toute sa valeur, il faudrait que les membres du jury, d’abord, et tous ceux qui sollicitent d’y mettre leurs œuvres, fussent tenus de ne les point mettre ailleurs. Pour que le Salon retrouvât son ancien prestige, il ne suffirait pas, en effet, d’en expulser quelques milliers de toiles médiocres : il faudrait encore y attirer et y maintenir les quelques centaines d’œuvres intéressantes qu’on voit aujourd’hui, dispersées, dans les petits Salons, tout le long de l’année et en toutes sortes de « galeries. » Il faudrait, à toutes, faire un sort, en les mettant en belle place et