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mais un « état » d’âme, qu’elles représentent admirablement. Regardez son Vieux chemin de Villerville et les autres : il s’en dégage un sentiment de recueillement, de clôture en plein air, de retraite impénétrable, de secret. Les feuillages descendent du ciel jusqu’à terre en épaisses tentures, de lourds tapis herbus étouffent les pas. On imagine que les paroles, à peine murmurées dans ce lieu, doivent y rester suspendues, car rien ne souffle, rien ne passe qui puisse les emporter. L’œil n’est pas distrait par les fantaisies que se permettent là-haut, peut-être, les nuages de M. Le Sidaner, ni par les jongleries de ce que Corot appelait « ce charlatan de soleil ! »

La course des nuages, justement et sur l’étendue déserte, voilà l’impression unique et contraire, que nous donne M. Damoye dans son Chemin du Mont-Saint-Michel. L’étendue calme et lumineuse, comme bénie à jamais par le saint qui y vécut, voilà l’impression unique fournie par M. Prinet dans son Assise. Les deux paysages de M. Georges Leroux, Le Bois sacré (campagne romaine) et Paysage italien (Tivoli), tendent aussi à produire en nous une impression unique : le calme des forêts d’Italie, bénies par la lumière, les têtes d’arbres vus d’en haut, comme les têtes des spectateurs rangés dans un amphithéâtre, serrés, étages, muets, devant la course toujours semblable et toujours émouvante du jour. Le Bassin de Flore, à Versailles, de M. Gallay-Charbonnel, ne témoigne que d’un sentiment : le mystère des hautes allées, à peine touchées à leur sommet par les dernières flammes du jour enflammant les dernières feuilles de l’année. La Grille du Parc (Ponthieu), de M. A. de Moneourt, raconte la mélancolie des choses faites pour servir à l’homme, abandonnées et oubliées et envahies par la nature qui, elle, n’a ni avenir, ni passé.

Ces paysages sont si recueillis, si fermés, si religieux, qu’en entrant à l’église, c’est à peine si l’on croit les avoir quittés. Et, en effet, les Tombeaux de M. Sabatté, l’Eglise de Sainte-Croix (de Bordeaux), de M. P.-G. Rigaud, même l’Intérieur de Chapelle (Bretagne) de M. Le Gout-Gérard, sont des manières de paysages de pierre, avec leurs rochers sculptés, leurs forêts de colonnes, leurs soleils de verrières. Les Tombeaux surtout, peints à Jouarre par M. Sabatté, expriment au plus haut point le calme lumineux d’un temple vide, la retraite idéale de l’âme, loin des cités bruyantes et des cris discordans, le grand réservoir de