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toutes ensemble, dans toute leur force, avec l’aspect caractéristique de tous les objets : impression de force produite par le chêne, de massivité produite par le rocher, de légèreté faite par les soies floches des nuages, de chaleur et de lumière faite par le soleil, de transparence et d’éclat faite par l’eau. Encore y ajoutaient-ils, volontiers, l’impression d’étendue, donnée par la plaine étalée au loin, de retraite et de secret donnée par un massif ombreux, de brise annoncée par les pointes des arbres émoussées dans le ciel et beaucoup d’autres, enfin, qu’on peut éprouver, en effet, dans le même moment, devant le même coin de nature. Le paysagiste actuel choisit un coin de nature qui ne produit, en lui, qu’une impression, ou bien il choisit, parmi ses propres impressions en face de ce coin de nature, une seule, l’isole et cherche à la rendre de la façon la plus intense. Un exemple saisissant nous en est fourni, cette année, par les six tableaux de M. Le Sidaner : ce sont six cadres encadrant six vides : des Ciels. Les anciens peignaient, eux aussi, des ciels et tentaient de nous faire éprouver tout ce que nous éprouvons devant cette Nuit sur la mer, ce Clair de Lune, cet Orage, ou ce Soleil couchant, mais ils le tentaient au-dessus d’un paysage de terre ferme, tout rempli d’intentions et d’expressions diverses qui en diminuaient nécessairement l’intensité. Ici, nous ne sommes distraits par rien, et sauf peut-être chez Van Goyen et chez Turner, nous n’avons jamais pénétré, à ce degré, le mystère des ondes aériennes accumulées au-dessus de nos têtes ou de ces nuées « qui sont de grandes divinités pour les hommes paresseux... »

De même, chez M. René Ménard, dans ce paysage de pins sombres et d’eaux claires qu’il appelle Les Baigneuses, il n’y a qu’une impression : la solennité des grands arbres doublée par le calme miroir. Tout y concourt, rien n’en distrait. Les figures de M. Ménard animent peu ses paysages ; elles ne les animent même pas du tout : ce sont des statues immortelles, comme la nature elle-même, et elles doivent tromper les faunes, ægypans, centaures et hamadryades, qu’on imagine toujours rôdant entre les fûts des arbres dans les forêts de ce païen attardé.

C’est encore une impression unique : l’impression de mystère, que donne M. Albert Moullé dans ses six toiles auxquelles il a mis des titres géographiques. C’est une notation psychologique qu’il faudrait, car ce n’est pas « un lieu » sur la terre,