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ne valent pas grand’chose, les scènes d’histoire ne valent rien. Les symboles resteront indéchiffrables, parce que personne n’a la moindre envie de les déchiffrer. Parmi les scènes de genre ou de style, on ne trouve guère que le Parc et Famille en deuil de M. Lucien Simon, la Nuit Joyeuse de M. La Touche, Avant de paraître de M. Frieseke et le Premier regard au miroir de M. Muenier, qui retiennent l’attention. Mais les portraits honorables sont légion ; les paysages, où l’on aimerait vivre, forment tout un monde. Or, un artiste, qui peint un portrait ou un paysage, sans s’occuper de le faire entrer dans un ensemble imaginé ou préconçu, c’est un passant qui écrit, au jour le jour, ses Mémoires. S’il a le moindre talent, quelque don d’observation, de la clarté, de la bonhomie, il nous intéresse, parce que la Nature s’est chargée elle-même de tout le travail de composition, d’équilibre et que, même dans ses exemplaires les plus communs, il est rare qu’elle ait échoué.

Encore faut-il les bien voir et ne pas gâcher ses modèles ! Cette année, les peintres et les sculpteurs en avaient d’admirables : MM. Briand, Forain, Paul Deschanel, Jules Lemaitre, Paul Hervieu, Thureau-Dangin, Paul Déroulède, le cardinal Merry del Val, Léon Bourgeois, Branly, — de quoi illustrer tout un traité de physiognomonie comparée. Qu’en ont-ils fait ? Ce sont, assurément, de « bons portraits, » pour la plupart, c’est-à-dire bien peints ou bien modelés, et ressemblans, mais de cette sorte de ressemblance qui frappe seulement ceux qui connaissent le modèle. Or pour qu’une ressemblance vaille la peine qu’on s’y arrête, il ne faut point qu’elle frappe ceux qui connaissent le modèle. Il faut qu’elle frappe ceux qui ne le connaissent pas. C’est ce qui arrive, tous les jours, dans les musées, devant des effigies vieilles de trois ou quatre siècles, les portraits d’Holbein, par exemple, ou d’Antonio Moro, quand on s’écrie en les voyant : « Comme ce doit être ressemblant ! » Pourquoi disons-nous cela, et d’où vient que nous déclarons l’image conforme à un original dont nous n’avons aucune autre copie, ni aucune idée ? C’est que nous y avons reconnu quelque trait spécial et saillant qui, n’étant pas un trait commun de l’Espèce, doit être propre à l’individu. Nous ne jugeons point ce portrait par sa « ressemblance» ou sa conformité avec un visage que nous ignorons, mais par sa « dissemblance » avec le visage de l’Espèce, ou, si l’on veut, la moyenne des