Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/404

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Que s’est-il donc passé qui a, ainsi, renversé toutes choses ?

Pour le conjecturer, retournons d’un siècle en arrière. Ouvrons le catalogue d’un Salon sous le premier Empire, celui, par exemple, où ont paru les deux grandes œuvres typiques de David : le Sacre et les Sabines ; le Salon de 1808. C’est une chose mélancolique et reposante que de feuilleter ce léger cahier à couverture rouge marbré, qu’on vendait, il y a cent ans, dans les salles du Louvre et qui s’imprimait rue Ventadour. On y trouve des conseils pratiques. On y est averti, par exemple, qu’il ne faut point acheter le livret en dehors du Muséum, où on le paierait plus cher, et aussi qu’on trouve, à la porte, des préposés à qui l’on peut confier « son sabre. » Mais comme ce livret est mince ! C’est qu’il contient seulement 834 numéros. Or, notre Salon des Champs-Elysées, en 1913, en contient 5 510 et celui de l’avenue d’Antin, qu’il faut y ajouter, pour avoir l’équivalent du Salon de 1808, en contient 2 829. N’allons pas plus loin. Notre enquête est fermée. Nous voyons, tout de suite, pourquoi le Salon ne joue plus le même rôle qu’autrefois. Autrefois, c’était une sélection, sinon judicieuse, du moins effective. La collection d’art présentée au public n’était peut-être pas toujours bien choisie, mais elle était restreinte. Être reçu, c’était être vu et, par conséquent, jugé. Aujourd’hui, être reçu, être exposé parmi 8 339 autres, n’est rien ou presque rien. Car notre faculté d’attention ne s’est pas accrue en proportion des tableaux à regarder, qui ont passé de 834 à 8 339, c’est-à-dire exactement de 1 à 10. Nous ne pouvons, ni physiologiquement, ni moralement, recevoir ces impressions avec la force qu’il faudrait pour leur rendre justice.

Nous allons faire, pourtant, comme si nous le pouvions. Nous allons considérer ce qu’il peut y avoir de bon dans cette invasion annuelle de la peinture mondiale. Mais, après l’avoir considéré, nous nous demanderons ce qu’il faudrait faire pour restituer à nos expositions officielles l’intérêt qu’elles ont perdu, et, ayant dit ce que sont les Salons de 1913, qui paraissent un peu inutiles, ce que serait le Salon nécessaire.


I

Notre époque est favorable aux Mémoires, en peinture comme en tout le reste. Cette année, les grandes toiles décoratives