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sans même toujours obtenir justice, et dont les idées ont leur créance sur l’avenir.

Hors du catholicisme, Zwingli, Castalion, Calvin subiront son influence. Si, en Allemagne, la Réforme luthérienne a repris contact avec les Lettres, si on a pu croire un instant qu’elle reviendrait à l’unité, ce fut l’œuvre de Melanchthon, le plus catholique, parce que le plus érasmien des protestans. Dans cette Église même à laquelle il est resté fidèle, Érasme aurait pu suivre partout la diffusion de ses idées. Elles arrivent au pouvoir avec Paul III, qui s’honore en lui offrant le chapeau de cardinal. Elles inspirent, comme on l’a remarqué, la réforme des études ; elles dominent enfin l’œuvre de Trente, et plus d’une définition conciliaire sur la liberté et sur la grâce nous apporte comme un écho de la polémique érasmienne contre Luther. Enfin et c’est surtout dans notre France, que son esprit s’est continué. C’est qu’en effet cette France qu’il aimait, où il était aimé, a été le pays où l’érasmianisme fut le mieux compris et a porté ses meilleurs fruits ; nulle part le grand solitaire de Bâle n’a eu de disciples plus fidèles. C’est dans les Adages que Montaigne va puiser en partie sa connaissance de l’antiquité. C’est aux Colloques, que les politiques reprendront plus tard la grande doctrine de la tolérance, et notre XVIIe siècle cartésien, avec sa philosophie de la liberté et sa croyance à la raison, peut être compté parmi ses fils intellectuels. Plus loin encore, c’est jusqu’aux temps modernes qu’il plonge, par son œuvre érudite, son exégèse, sa conception dynamique du christianisme, ses idées de développement et de progrès.

Si la pensée française est restée catholique, c’est beaucoup à ce grand esprit, si proche de notre esprit, qu’elle le doit.


IMBART DE LA TOUR.