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même en est parfois inconvenant... Si saint Paul vivait de nos jours, réprouverait-il ces mœurs ? »

Loi fatale du temps qui ajoute, transforme, détruit. Qu’importe ! si l’âme de l’Église ne change pas, si, au contraire, dans son union avec l’histoire, elle s’enrichit de tout ce qui mérite de survivre dans les conquêtes de l’esprit humain.


V

Œuvre de mesure, de raison, d’équilibre, qui essaie de réformer l’Église, en la conservant, de restaurer l’Evangile, sans rejeter la tradition, les idées de foi et de grâce, sans rompre avec la nature, de concilier la liberté chrétienne avec l’autorité, en un mot, entre deux extrêmes, voie moyenne et large qui peut seule conduire à la paix, voilà les traits de l’évangélisme érasmien. On a dit à tort que, de Rome à Wittenberg, il était une transition : entre le catholicisme, la Renaissance et la Réforme, il est une transaction.

Il n’est guère dans la nature des choses que de tels arbitrages aient chance de réussir. La paix érasmienne s’offrait à une heure où, dans la lutte naissante, toute concession semble une trahison et où les partis ne demandent point à s’entendre, mais à se détruire. Et, par malheur, il manquait à l’arbitre ces dons qui, seuls, maîtrisent ou soulèvent les âmes : l’énergie de l’action ou la puissance d’un système.

L’action ? Érasme, on le sait, ne l’aimait guère. Ce n’est point qu’il se dérobât à ses devoirs, ni s’enfermât dans la tour d’ivoire de sa pensée. Ce passionné de beauté et de savoir n’était pas un sceptique. Il ne se borna pas à se démontrera lui-même l’efficacité de ses remèdes. Tant qu’il crut la paix possible, avec une énergie inlassable, il s’employa pour elle. Il essaye de modérer Luther et ses ennemis. Il pèse sur les humanistes pour les empêcher de prendre parti. A Rome, comme à Vienne, il donne des conseils qui, suivis plus tôt, eussent peut-être modifié le cours des choses. Lui-même, assiste aux conférences de Calais en 1520, intervient, l’année suivante, à la diète de Worms ; en 1523, il s’apprêtait à se rendre à l’appel d’Adrien VI, si la maladie ne l’eût arrêté. Le jour enfin où, publiquement, il dut rompre avec Luther, il descendit dans l’arène... Mais il est vieux, infirme, et avec quel regret il se mêle à ces luttes ! Non,