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discussion serrée et pressante de la Diatribe, Erasme prend corps à corps la doctrine, l’étreint, la disloque, « J’entends bien. Le nombre ne fait rien pour juger du sens de l’Esprit. Je réponds : Que fait l’individu ? — On me dit : Que vaut la mitre à l’intelligence des Écritures ?… Que valent le froc ou la cuculle ? — Sans valeur, la connaissance de la philosophie… Et l’ignorance ? — L’Esprit seul est juge ?… Qui sera juge de ceux qui possèdent l’Esprit ? Eux-mêmes ? On a cru avec peine aux apôtres qui confirmaient la doctrine par des miracles. Qu’un de ces nouveaux apôtres me montre un seul d’entre eux qui ait pu guérir un cheval boiteux ? Et si contre eux, autrement qu’eux, d’autres parlent au nom de l’Esprit, qui décidera ? Nous voici au rouet. »

L’inspiration intérieure ne saurait donc être, par elle-même et par elle seule, un principe de certitude. Ce n’est point à l’unité, mais à l’anarchie qu’elle mène. Et, si légitime que soit le droit de la conscience « éclairée de l’Esprit, » il faut, à comprendre la Bible, un autre critérium, extérieur et supérieur, de vérité.

Ce critérium existe. Sous sa première forme, il est la raison impersonnelle, la science, qui, avec ses méthodes, aura toujours un droit de révision et de contrôle. Luther avait dû reconnaître les services rendus par la philologie à l’interprétation scripturaire. Nous suffit-elle ? La clé des Écritures nous est donnée encore par l’histoire et la critique. Ici la liberté de l’inspiration s’arrête devant l’autorité de l’exégèse. À l’exégèse seule, de classer les matériaux, d’en peser la valeur. Les textes ne sont pas ce que nous voulons qu’ils soient. Dans cet infini qu’est la Bible, nous n’avons droit de les choisir, de les exclure, moins sur leur contenu théologique, que d’après leur origine et leur authenticité. De plus, nous ne pouvons pas plus les séparer de leur milieu que les isoler les uns des autres. Et par exemple, rappelons-nous que Paul « a écrit pour les Juifs qui opposaient les prescriptions légales du mosaïsme à l’Évangile… Il est probable qu’il eût parlé tout autrement s’il avait vécu dans notre siècle. » Vue profonde, qui amènera Érasme à contester toute l’interprétation luthérienne du paulinisme et à rejeter les textes scripturaires invoqués par Carlstadt. Mais si la science seule crée les compétences, jointe à l’inspiration individuelle comme à la sainteté, elle rétablit l’autorité : celle des maîtres.