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sur certains dogmes ? Et comment Luther qui l’interprète n’est-il point d’accord avec Carlstadt, avec Zwingli, avec Bucer, avec lui-même ? Il faut interpréter l’Écriture, — et, d’autre part aussi, la dépasser. La Révélation n’est point un ensemble de formules tombées du ciel, dans des âmes inertes et vides. Elle crée la vie parce qu’elle-même est la vie. Mais la vie, c’est le mouvement, c’est le progrès dans la vérité comme dans la nature. Il y a un développement dans la Bible, de la Genèse à Moïse, de Moïse aux Prophètes, des Prophètes à Jésus. Et, au delà même de Jésus, la fécondité créatrice de son verbe se continue. Si la parole de Dieu n’était qu’une lettre figée, transmise de siècle en siècle, par une adoration inconsciente et par une pensée morte, où serait l’œuvre de l’Esprit, son action invisible et présente, dans la vie morale de l’humanité ?

Il y a donc une pensée religieuse qui, partant des formules divines, s’élève au-dessus d’elles, qui, dans le champ immense de la Révélation, sonde les profondeurs, discerne les sommets, les relie les uns aux autres, et montant toujours, attirée elle-même par de plus larges sphères, découvre des horizons qui s’étendent et des altitudes qui se dépassent. Voilà le développement doctrinal, celui qui, depuis le Christ, a suscité les interprètes de son message. Il commence avec Paul, le premier des théologiens ; il se prolonge avec les Pères ; il se poursuit par les docteurs. Il crée la théologie et l’exégèse, étend la Révélation, enrichit le dogme, travail incessant de l’esprit sur le texte, effort renouvelé de l’âme vers l’intelligence de la vérité. Mais dans cette suite de doctrines, nous devons savoir où est la vérité, et par quel organe cette vérité se constitue.

« L’inspiration individuelle, la révélation intérieure de l’esprit, » proclame Luther. — Soit ! Et de tout temps, en effet, cette illumination a été reconnue. Elle existe dans les Apôtres, elle se manifeste dans les Pères ; pourquoi cesserait-elle d’agir dans la vie de l’Église ? « Je la préfère, dit Érasme, au savoir ; » et lui-même n’en avait-il point fait, dans sa Méthode, une des conditions de l’intelligence des Écritures ? Mais l’inspiration, seule ?… En 1524, le nouveau dogme a porté ses fruits. Luther n’a qu’à regarder autour de lui pour en voir l’aboutissant final. Il l’avait opposé à l’Église : d’autres l’invoquent contre son « Évangile. » « Faudra-t-il ajouter foi à tous ces fanatiques, à ceux qui crient le plus fort qu’ils sont l’Esprit ? » Et dans une