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de l’anarchie, Erasme reste fidèle à son principe. Tout chrétien a droit à l’Evangile, et la diffusion du livre sacré sera toujours à ses yeux, en 1524 comme en 1516, la condition première de l’unité vivante. Il faut lire l’Evangile « d’un cœur pur, attentivement, ardemment. » Il faut que l’Église fasse lire l’Évangile. Si les hérétiques abusent des Saintes Lettres, est-ce une raison pour en défendre l’accès à tous ? « Doit-on chasser l’abeille des fleurs, parce que de temps à autre en sort une araignée ? » Et avec une même ardeur, il réclamera des traductions populaires des Livres Saints. Contre les chicanes des théologiens ou le mauvais vouloir des autorités, il remarquera qu’ils ont été rédigés pour le peuple, dans la langue du peuple. Ils sont le message de Dieu aux petits et aux humbles. Souhaiter qu’ils soient compris, est-ce donc une hérésie, ou même une nouveauté ? C’est revenir au contraire à la tradition de l’Église. Il n’est pas d’autre moyen de refaire dans les masses cette unité de foi et de vie dont l’unité extérieure n’est que le revêtement.

Tout est-il donc chimérique des craintes des orthodoxes ? Et si l’Évangile est à lui seul, par lui seul, un principe d’union, comment expliquer l’anarchie qui partout, en son nom, sous son couvert, se développe ? Ne va-t-on point dissoudre l’Église sous prétexte de la purifier et de l’unifier ? C’est que l’Écriture, âme d’une croyance et d’une piété communes, est encore le germe d’un développement doctrinal et d’une théologie. Et c’est ici que va devenir nécessaire un autre principe d’unité.

S’en tenir à l’Évangile ! La théorie est simple en effet, trop simple, car elle suppose que Dieu ait parlé comme un géomètre, en termes clairs, concis, et que sur le livre à jamais clos de la Révélation, la pensée chrétienne n’ait plus qu’à dormir son sommeil. — Or, d’une part, l’Écriture n’est pas claire. Saint Augustin a pu dire que Dieu avait permis que parfois « l’Écriture soit obscure, pour exciter notre zèle à la pénétrer. » Obscurité des mots, altérés par les traducteurs ou les copistes ? Obscurité des choses, dont la complexité, notre ignorance, le temps même nous cachent le véritable sens ? Qu’importe ! Saint Jérôme a hésité. Saint Augustin a hésité. Luther hésite à son tour qui ne peut invoquer cependant son ignorance des langues ou l’inintelligence de l’Esprit. Si l’Écriture est claire, que signifient donc ces sens divers entre lesquels a tâtonné la science ? Comment l’Église a-t-elle dû réserver son jugement