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implique, la morale, la religion, la vie n’ont aucun sens.

A merveille ! Mais comment cette doctrine de la liberté et du mérite se peut-elle concilier avec le salut par la foi et la gratuité de la grâce ? — Contradiction apparente, répond Erasme, et qu’une analyse plus serrée permet peut-être de résoudre. Dans l’exercice de notre volonté libre, sachons distinguer, et la grâce qui s’offre, et notre consentement qui répond à la grâce. Dans nos œuvres, ne confondons point la valeur que nous leur attribuons, et celle que Dieu, dans sa bonté pure, leur reconnaît. Si nous nous flattons par nos seules forces de faire le bien, si nous nous donnons nous-mêmes le moindre mérite, nos œuvres sont vaines. Aussi bien, au problème soulevé par la Réforme, Erasme ne prétend point donner de solution originale. Il en connaît la complexité. Mais n’est-il point remarquable que, dans cette controverse, entre les deux grands systèmes qui ont prétendu concilier la nature et la grâce, c’est vers la solution augustinienne que ce rationaliste incline ? « Ceux qui sont le plus loin de Pelage, écrira-t-il, attribuent le plus possible à la grâce, presque rien au libre arbitre, sans pourtant le supprimer ; ils nient que l’homme puisse vouloir le bien sans une grâce particulière, qu’il puisse l’entreprendre, y progresser, l’accomplir entièrement sans le secours essentiel et perpétuel. Leur opinion me paraît assez probable. » Que sauve-t-elle au moins ? L’effort. C’est là surtout ce qui importe. Nous restons libres devant la grâce, pouvant répondre ou non à son appel ; libres devant le salut « offert à tous, » sauvés par la bonté seule de Dieu, « damnés uniquement par nous-mêmes. » Et d’un mot. l’homme peut et il veut ; il demeure une cause, une activité qui s’offre, s’incorpore à cette action divine qui s’infuse en lui pour le régénérer.

Seule doctrine qui réponde aux lois comme à la dignité de sa nature. Seule aussi, conforme à la nature de Dieu, souverainement libre, mais souverainement bon et juste. Seule, enfin, qui, dans la foi et la raison réconciliées, affirme la transcendance du christianisme, en l’unissant à l’histoire qu’il domine, à l’âme qu’il transforme, à l’univers qu’il explique. Non, il n’est pas vrai que le surnaturel soit la négation de l’être : il en est la plénitude. Non, il n’est pas vrai que la liberté ne soit qu’un mot, une illusion généreuse ou coupable de notre orgueil : elle est au moins la fin suprême à laquelle tend la création. Sur