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n’est plus dans notre nature, mais dans nos actes. Ceux-là seuls sont bons qui sont conformes aux préceptes ; ceux-là, mauvais, qui y dérogent. — Elle restitue aux œuvres leur valeur de justification. Car si Dieu les exige de nous, comment n’en tiendrait-il pas compte ? Où il y a précepte, il y a sanction, et où sanction, punition et récompense. Notre salut ne saurait être uniquement l’appréhension par la foi de la justice du Christ, mais encore une création intérieure de notre volonté. « Ce n’est point seulement celui qui parle de justice qui est juste, mais celui qui la pratique dans sa vie et par ses mœurs. » — Et comme nous ne pouvons être responsables, sans être libres, ce qui reparait avec la conception érasmienne, c’est enfin, c’est surtout l’idée de liberté.

On peut dire qu’Érasme emploie le meilleur de ses forces à la défendre. Que ses raisons spéculatives soient médiocres, n’en soyons point surpris. Il n’est pas métaphysicien. Mais avec quelle richesse, l’historien accumule les argumens de raison pratique ou d’autorité ! Contre la théologie, d’abord, qui se couvre de la Bible, il attaquera avec la Bible. L’Écriture reconnait-elle le libre arbitre ?... Querelle de textes, où l’érudit a beau jeu, à son tour, d’entasser les citations. Entendons bien que la Bible ne définit point la liberté. Elle la suppose. L’Ancien Testament nous parle de récompenses et de peines, nous montre Dieu irrité de nos fautes, apaisé par nos repentirs, « Pourquoi maudire, si je pèche nécessairement ? A quoi bon ces préceptes, s’il n’est pas dans mon pouvoir d’observer ce qui a été prescrit ? » Plus nettement encore, c’est l’Évangile qui nous invite à lutter, à agir, à veiller, « Priez ; ne vous laissez point surprendre... Comme l’arbre à ses fruits, vous serez jugé à vos œuvres. » Or comment le péché nous serait-il imputé, s’il n’est pas volontaire, et qui parle de lutte, là où il n’y a pas de liberté ? » — Quelle démonstration invincible enfin, si, à ces affirmations des Saints Livres répondent et les opinions des sages et la tradition des docteurs, et notre sentiment intérieur et la croyance séculaire de l’humanité ! Nous pouvons discuter sur la nature du libre arbitre, et qu’il soit, par exemple pour Occam, la puissance souveraine de choisir, ou, pour Thomas, l’habitude du bien (et Érasme incline vers cette solution) ; nous ne pouvons nier la liberté même. Nous ignorons ce qu’elle est. Qu’il nous suffise de savoir qu’elle est ; parce que sans elle, et sans la notion de mérite qu’elle