Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il a une conception autre de la nature, mais aussi de l’Evangile.

Il avait pu écrire dans ses Paraphrases : « J’appelle l’Évangile la justification par la foi en Jésus. « Mais tout aussitôt, ce principe commun de l’Évangélisme va être interprété et complété. — L’Evangile n’est qu’une foi, avait dit Luther, — une foi et une règle, riposte Erasme, une règle de vie, parce qu’il enseigne l’amour. La charité : voilà même le principe, la racine de la loi évangélique, ce par quoi elle se distingue des autres cultes, ce par quoi elle a fondé la religion unique, définitive, parfaite, celle de l’Esprit. Et voilà aussi le précepte fondamental auquel tout se ramène, la foi elle-même, qui ne serait qu’une chose morte sans l’amour qui l’accomplit. Croire au Christ, c’est l’aimer, et l’aimer, c’est le suivre. « Tu crois en vain, que Dieu est, qu’il est un, si tu ne crois pas aussi que tu dois attendre ton salut de lui seul. Mais tu ne croiras pas comme il faut, si tu n’unis la charité à la foi, si tu n’attestes par tes œuvres ce que tu crois ou ce que tu aimes. » Ou encore : « Celui-là ne vit point pour Dieu, qui ne vit pas pour la piété, pour la justice, pour les autres vertus... La sève que le Christ nous infuse doit se traduire par des fleurs... » Luther avait pu accuser Erasme « d’avoir enseigné la charité sans la foi. » Reproche injuste, qui n’en traduit pas moins cependant la différence initiale qui les sépare. La vision dogmatique, si puissante chez le premier, cède, chez le second, à la vision morale ou sociale. L’évangélisme luthérien s’était constitué sur l’idée de la justification par la foi seule, l’évangélisme érasmien sur celle de la sanctification par la foi et par l’amour.

Que l’on pèse maintenant les conséquences de cette conception. C’est par elle, que tout l’édifice moral de l’ancienne théologie va, pierre par pierre, se reconstruire. — Elle ramène la doctrine des œuvres. Qui dit amour dit devoirs, et qui dit devoirs dit actes. Concédons à Luther que les œuvres « extérieures » et « rituelles » ne sont rien. Les œuvres « spirituelles » demeurent. L’amour n’est point seulement la perte de l’être dans la contemplation de l’Infini, il est une loi de fraternité et d’assistance humaine. Aimer Dieu, c’est aimer le prochain, et aimer le prochain, c’est être bon, généreux, bienfaisant, équitable. — Elle restaure la doctrine traditionnelle du péché. Et en effet, si celui qui manque à la charité a violé toute la loi, le péché