Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/390

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puisque son but suprême a été de nous conduire au Christ, « qu’elle-même n’a pas enseigné autre chose que l’Evangile, mais autrement. »

Nous voici au terme : le christianisme. Révélation définitive qui apporte au monde une foi et une grâce : la foi dans un Rédempteur qui a mérité pour tous ; la grâce, effusion de l’Esprit qui, gratuitement, nous sauve ; l’une et l’autre créant en nous cet homme nouveau, intérieur, spirituel, qui ne connaît point seulement Dieu, mais participe à son être, ne produit pas seulement les œuvres de la Loi, mais les vivifie par l’amour. Une certitude de salut, une loi universelle de charité, une possession libre et réfléchie de soi-même, en un mot, une adoption divine, voilà ce que l’humanité a dû à l’Évangile. — Mais en cela encore, l’Évangile transforme, rénove, achève ; il ne détruit pas. Il s’ajoute à la nature comme à la Loi, non pour les abolir, mais pour les consommer.

Thèse chère à l’humanisme, qu’après Pic et Reuchlin, Érasme reprend avec une vigueur et une richesse incomparables, comme une des idées de fonds de sa pensée religieuse. Ainsi, se trouvent soudées les unes aux autres toutes les pièces de la chaîne qui du premier homme nous mène à Jésus. Dans ce développement grandiose de la vérité, ce qui commence prépare ce qui s’achève, ce qui s’achève absorbe ce qui commence, comme au joyeux midi fusent en gerbes de feu les clartés roses du matin. Plus de contradiction entre le christianisme et l’antiquité. L’Évangile plonge dans « la sagesse » et dans la « Loi. » Le Christ est vrai, le Christ est nécessaire, car lui seul crée l’unité de l’histoire. L’humanité le cherche, et il s’offre à elle, pour qu’elle le vive. — Assise large, indestructible de la démonstration évangélique ! La vérité religieuse n’est plus contenue seulement dans un texte, si vénérable qu’il soit : elle repose sur le témoignage des siècles. Elle déborde la révélation positive ; elle s’appuie sur cette révélation, antérieure et extérieure, qui éclaire tout homme en ce monde, et qui est elle-même mouvement et progrès. — Et c’est sous cette forme encore qu’elle opère dans l’âme individuelle. Elle est en nous, ce qu’elle est dans l’histoire : une coopération, un accord entre la vie de l’homme et la vie de Dieu.

Nous touchons au problème initial de la Réforme : grâce et nature. Si Erasme le résout contre Luther, c’est que non seulement