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élément de vérité et de moralité. Elément rationnel, car par un renversement remarquable des valeurs, contre le nominalisme théologique, ce n’est plus la liberté, mais l’intelligence qu’Érasme remet au premier plan. « Il y a une raison dans tout homme, et dans toute raison un essor vers le bien. » Voilà la loi « non écrite, » gravée en nous, comme le sceau du créateur sur l’âme, qui, nous mettant à part et hors pair dans l’universalité des êtres, explique seule le progrès de l’individu comme le progrès de l’espèce. — Mais alors, où serait la nécessité du christianisme ? — Dans cet autre fait. C’est qu’incomplète, imparfaite, la loi naturelle postule d’autres lois qui viennent la couronner. Quelque droite que soit, en effet, notre raison, il y a dans l’homme un autre agent qui l’enténèbre et qui la fausse : la volonté. Et c’est par là que le péché est entré dans le monde, nous opposant à nous-mêmes, nous laissant capables d’entrevoir, de désirer Dieu, non de le posséder. L’antiquité a pu avoir ses héros et ses sages. Fleurs exquises, mais à peine ouvertes ; fleurs solitaires, nourries sur les sommets de l’humanité où ne peuvent atteindre ces myriades de plantes qui végètent dans la plaine. « L’homme par lui-même peut vouloir quelque bien : il ne peut vouloir efficacement le bien qui le mène au bonheur. »

Il lui fallait donc une règle supérieure de vie, « un pédagogue », extérieur et infaillible, qui redressât en lui la volonté déchue, et ne se bornât plus à conseiller, mais à prescrire. Œuvre du judaïsme, la Loi a été ce code éternel. Elle est venue enseigner, et pour jamais, la distinction du bien et du mal, commander et défendre. Elle a été « la connaissance du péché. » — Seulement cela, comme le veut Luther ? — Elle nous a donné aussi les premières armes pour le combattre. En multipliant les exhortations et les défenses, en prescrivant les observances et les œuvres de miséricorde, les jeûnes, l’aumône et le sabbat, la Loi a créé une discipline. Discipline extérieure, soit ! mais qui « a voulu habituer le peuple rebelle aux préceptes divins et le conduire, comme par la main, à l’intelligence des choses spirituelles. » Et enfin la Loi qui commande, qui menace, contient encore la Promesse. Abraham a cru et a trouvé grâce. Tout le mosaïsme est l’affirmation du Messie. Les Psaumes le figurent ; les Prophètes le décrivent ; or, qu’est le prophétisme lui-même, sinon déjà la religion spirituelle ? La Loi des œuvres prépare celle de la foi ; elle est à sa manière une justice, quoique imparfaite,