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de notre béatitude. « Tout ce qui nous est donné pour la vraie vie, par la bonté divine, nous est donné seulement par la foi... Dieu veut que le salut des hommes dépende de sa miséricorde et non de nos mérites... Où est la voie ? Où le salut ? Dans nos mérites et le bienfait de la loi de Moïse ? Où donc alors ? Dans la munificence toute gratuite du Père. Nous ne sommes que l’organe de la puissance divine qui exerce son action en nous. » Retenons ces formules. Visiblement, à l’heure même où la doctrine de la foi s’affirme comme l’essence du christianisme, Erasme tient à publier son adhésion. Il est avec Luther pour exalter la foi et la gratuité de la grâce. — Il n’est point avec lui, contre l’homme. « Spiritualiser » le christianisme n’est point le mutiler.

Du dogme luthérien, tout le détourne, sa nature comme sa culture. Il est trop ennemi des extrêmes pour souscrire à une condamnation sans réserve et sans appel. « Ceux-là exagèrent singulièrement le péché originel, dit-il, qui prétendent que les forces les meilleures de la nature humaine sont tellement corrompues qu’elle ne peut rien par elle-même que haïr et ignorer Dieu... » « Hyperboles ! » dont Luther est coutumier. Érasme volontiers eût dit, avant Pascal, le modifiant légèrement : « Deux excès : exalter la nature ou la condamner. » Mais s’il est trop chrétien pour croire à la bonté originelle de l’homme, il est trop humaniste pour admettre sa corruption totale. Depuis longtemps, ses idées sont arrêtées, et avec Platon, c’est le dualisme qu’il affirme. « L’homme est un composé... » Nulle assertion plus évidente pour lui et plus conforme à la nature des choses. Quand tout, dans l’univers visible, est un mélange de bien et de mal, d’erreur et de vérité, comment l’homme échapperait-il à cette loi ? Elle seule explique la vie : la contrariété de nos penchans, la divergence de nos doctrines. Sur elle seule se fondent nos théories et nos méthodes d’éducation. Si nous naissions également intelligens et bons, d’où viendraient l’ignorance et le mal ? Si également pervers, quelle énigme que nos penchans au bien et notre aptitude au progrès ! Et quelle condition serait la nôtre, pire que celle de la brute « capable au moins de reconnaissance, de bonté et d’efforts ! » Sur ce terrain solide de l’observation morale ou psychologique, Erasme est à son aise pour contester l’idée luthérienne du péché. Il puise dans l’étude de l’homme ses meilleures armes pour défendre l’homme. Et en fait, si la