Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/386

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


III

« Où ai-je dit que la vie de l’homme fût un péché ?... » Dans cette remarque faite en 1519, se traduit déjà l’antithèse initiale qui va mettre aux prises Érasme et Luther, et bientôt, derrière eux, la Renaissance et la Réforme. Le grand érudit ne s’y trompe pas. Cette conception de la vie est la ligne de partage. Ici, point de transaction possible. Pour Luther, croire est nier la valeur de l’homme : de l’absolu théologique où il s’est placé, le réformateur foudroie la liberté et la raison. Pour Érasme, croire est unir à la foi les aspirations humaines, et dans la voie moyenne où il se meut, le philosophe cherche le point où l’homme et Dieu se retrouvent. Le christianisme est universel parce qu’il se concilie toutes les forces intellectuelles et morales de la nature dont il est l’harmonique achèvement.

La croyance serait-elle donc une pure notion spéculative, et aux yeux de l’écrivain, la vérité de la religion aurait-elle son fondement dans un syncrétisme rationnel ? Cela, les ennemis, évangéliques ou orthodoxes, d’Érasme, l’ont répété. Un « impie, » diront Luther et les sorbonnistes ; « un libre penseur, » ajouteront les modernes ! Nul humaniste cependant qui ait affirmé avec plus de force cette nécessité de la foi, qui va devenir, comme l’Écriture, le ralliement de l’Évangélisme. Il avait pu écrire déjà dans l’Enchiridion : « La foi est la seule porte qui nous mène à Jésus-Christ. » Cette notion toute chrétienne s’accuse dans les premières Paraphrases écrites en 1517 et en 1518, peut-être sous l’influence du luthéranisme naissant. Cette foi, « à laquelle nul n’est contraint, mais à laquelle tous sont invités, » n’est pas seulement pour Érasme une évidence de la pensée ; elle est une adhésion totale de l’être : « l’œil qui voit et connaît Dieu, » et, en même temps, cette vérité qui échauffe et qui console, cette conviction « qui croit au message » et cette confiance qui « s’abandonne à la promesse. » Elle est le principe de notre justice. « J’appelle l’Évangile, la justification par la foi en Jésus le fils de Dieu, que la Loi a promis et figuré. » Elle est la condition de notre pardon comme de notre pénitence. « Quand le Christ remet les péchés, il ne parle point de nos satisfactions et de nos œuvres... Il suffit de venir aux pieds de Jésus. » Elle est enfin « le point de départ »