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alors seulement on rétablirait l’égalité... » Eh quoi ? Faut-il donc, comme Luther, les abolir ? Non. Les expliquer, les ramener à leur rôle d’hygiène morale, les élaguer, et pour beaucoup, les laisser libres, comme l’antiquité primitive les a connues, voilà le vrai moyen de décharger les consciences chrétiennes.

Et enfin épurons l’autorité. C’est ici surtout que, depuis longtemps, humanistes et réformistes ont rappelé à l’envi le caractère spirituel de l’Église et de son gouvernement. Trop de prélats oublieux qu’ils sont des pasteurs, « appelés à paitre, non à tondre le troupeau. » Trop de censures, de décrets, de taxes, de tribunaux, d’amendes ; trop de tendances à gouverner par des moyens humains, à coups de privilèges, d’immunités et de contraintes ; trop de penchant, chez ces hommes d’Église, à se substituer à Dieu, à croire à leur infaillibilité propre comme à leur toute-puissance. Faut-il donc rejeter la primauté et le sacerdoce ? A Dieu ne plaise ! Mais qui ne voit ici clairement le travail de séparation qui doit se faire : celle du spirituel et du temporel, et dans le spirituel même, des formes juridiques, historiques, que l’autorité a revêtues et des moyens évangéliques que son fondateur lui a attribués : « Lapider est le fait des Juifs, guérir, des chrétiens. » Une société ne vit point sans garanties et sans droit. C’est fortifier l’autorité que la définir.

Nous commençons à entrevoir comment, sous l’œuvre critique, se dégage une œuvre positive. Réforme mesurée, modérée, qui répond bien au génie du maître, mais aussi à sa notion plus historique et morale que dialectique du christianisme : unité et variété à la fois, identité et changement, autorité et liberté, seule conciliation possible entre les exigences de sa propre vie et celles de la vie intellectuelle ou morale des siècles. Et s’il le conçoit tel, c’est qu’aucune représentation religieuse n e répond mieux à sa philosophie générale du développement et de la vie. Sur cette notion fondamentale, Erasme va contre Luther reconstruire les assises du vieil édifice. L’opposition doctrinale ébauchée en 1519, va se formuler nettement en 1524 et en 1525 dans les deux traités de la Diatribe et de l’Hyperaspistes. Du christianisme catholique, le grand humaniste va défendre les principes constitutifs : son universalité, son unité.