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Comment aussi ne pas voir que, sous l’effort continu des théologiens, des canonistes, c’est la liberté chrétienne qui se restreint de plus en plus ? Et, par exemple, si les Pères ont varié sur la nature du mariage, si la confession a son origine dans les consultations secrètes demandées jadis par les fidèles à leurs pasteurs, pourquoi ériger en article de foi cette division des sacremens, telle que le Lombard l’a établie ? S’il y a des contradictions, « des fautes de mémoire, » des erreurs de détail dans les Livres saints, ne sont-ce point nos théories de l’inspiration que nous avons à réviser ? Si l’épître aux Hébreux, comme le veut saint Jérôme, n’est pas de saint Paul, s’il y a des doutes sur tel verset de saint Jean, comme celui des Trois Témoins, le canon des Écritures est-il invariable ? Et s’il est vrai que les Apôtres ou les Évangélistes aient écrit en langue vulgaire, pour le peuple, comme le peuple, de quel droit empêcher les fidèles de lire l’Écriture dans la langue de leur pays ?… Accumulez ces petits faits, dites-vous qu’il y eut un temps dans l’Église où on n’enseignait pas, où on n’imposait pas telle doctrine enseignée, imposée par les écoles, et demandez-vous où aboutit maintenant ce grand travail critique de l’érasmianisme. Non, en vérité, il ne change pas seulement les méthodes, il ne déplace pas seulement les problèmes, c’est le bloc doctrinal que le moyen âge a constitué qu’à son tour il dissocie.

La vraie réforme, la voici donc. Elle n’est point dans une théologie nouvelle, une interprétation du christianisme qui ruine l’Église sous prétexte de l’épurer. Elle est, dans l’Église même, une séparation plus nette des deux élémens qui la composent : dogme et « opinions, » religion et observances, loi morale et règlemens, autorité et formes de l’autorité : bref, l’œuvre de Dieu, spirituelle et immuable, l’œuvre des hommes, positive et mobile : action en bornage qui peut, seule sauver l’unité organique en faisant la part des changemens. Ce travail d’analyse, de dissection, qu’avaient amorcé déjà l’Enchiridion et la Méthode, Érasme va le pousser à fond dans ses écrits ultérieurs : les Paraphrases ou les Colloques, et le petit traite qu’il dédie, en 1522, à l’évêque de Bâle « sur l’usage des viandes. » Nous allons voir à quoi il va conclure.

Que notre humaniste soit traité en ennemi, en suspect, qu’on lui reproche d’unir sa voix, par momens, à celle de Luther, pour dénoncer les confusions et les abus, peu lui importe. Il ne