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A la foule. Il eût fallu disserter dans les écoles, entre théologiens ou lettrés, et convaincre les évêques ou les princes, peu à peu, doucement, à force de patience et de raison. La voici qui jette le débat sur la place publique, dans les carrefours, dans les échoppes. Le peuple théologien ? Quelle dérision ! Et la voici encore qui s’en prend à tout, non seulement aux abus, mais aux traditions, aux habitudes, au culte, ne craignant personne, fonçant sur qui lui résiste, condamnant qui la condamne. De réforme pacifique il est bien question ! La lueur douce qui filtrait peu à peu dans les âmes est devenue l’incendie qui embrase. À ceux qui prétendaient encore souder le mouvement luthérien à l’humanisme, Érasme pouvait répondre par la phrase célèbre : « J’ai couvé un œuf de colombe, Luther en a fait sortir un serpent. » Dans cet héritier illégitime, il ne se reconnaît plus.

La pièce est devenue une tragédie. Et maintenant on peut voir que le dernier acte est tout l’opposé du scénario primitif. Les progrès promis et attendus, où sont-ils ? — D’une part, dans cette fièvre théologique qui brûle tous les cerveaux, plus de place pour la douce et sereine quiétude du savoir. Ce n’est point seulement la vraie réforme, c’est la culture que les réformateurs menacent. Qu’attendre d’un parti dont le chef lui-même a dénoncé toute recherche rationnelle comme une erreur et un péché ? On ne lit plus Cicéron ou Homère, mais la Bible et saint Paul. On ne récite plus de vers, mais des versets. Tout le monde dogmatise. Les qualités aimables de la raison humaine, créatrice de beauté et de bonheur, ont fui devant l’exaltation farouche des âmes éprises de vérité et de salut. Les universités sont en déclin, nombre de chaires sont désertes, ce Presque toutes les études, écrira Erasme, en 1525, sont en ruine comme la culture lettrée. — D’autre part, pour défendre le dogme menacé, jamais le dogmatisme ne s’est fait plus étroit. Une réaction furieuse va s’en prendre aux humanistes du malheur des temps et, pour combattre la licence, « rendre plus dure la servitude. » Dans la tourmente, partisans des vieilles doctrines, des observances, du conservatisme, du passé, ont serré leurs rangs et relevé la tête. Et cette fois, c’est au nom de l’unité menacée qu’ils vont s’attaquer à tout élargissement de la pensée religieuse ou de la discipline. Hébraïsans, hellénistes, exégètes ou philologues, ceux qui touchent au texte sacré de la Vulgate, ceux qui osent critiquer le canon des Écritures, ceux qui parlent de rendre l’Évangile