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« cinq mots à la bouche : l’Evangile, la Parole de Dieu, la Foi, le Christ, l’Esprit. » Valent-ils mieux que les autres ? Mêmes abus, même intolérance, mêmes vices, mêmes procédés contre ceux qui refusent de les suivre ; Erasme, tout le premier, dont ils divulguent les lettres, qu’ils déchirent de leurs pamphlets, qu’ils salissent de leurs mensonges. Se prononcer entre eux et les moines, c’est tomber de « Charybde en Scylla. » Au fait, pourquoi choisir ? Quels que soient les défauts de la vieille Église, tout, plutôt que « cette liberté séditieuse » et ce tumulte. « J’aime mieux, avoue notre lettré, les pontifes, les évêques tels qu’ils sont, que ces Phalaris émaciés qui sont plus intolérables encore. »

Aussi bien, est-ce moins une réforme qu’une révolution : le contraire de cette rénovation progressive et pacifique rêvée par l’humanisme. Épurer la théologie au contact de l’Écriture et des Pères, spiritualiser la religion, en l’allégeant d’observances trop étroites, restaurer dans le catholicisme la liberté intellectuelle, la réforme érasmienne ne demandait point autre chose. Elle se flattait de renouveler l’Église sans la détruire, de la pénétrer sans la déchirer. « Il faut, disait son chef, traiter les choses de l’Évangile avec l’esprit de l’Évangile, » ou encore : « La piété exige que l’on cache parfois la vérité : il ne faut pas la montrer toujours, n’importe où, n’importe quand, n’importe à qui... Peut-être faut-il admettre avec Platon qu’il est des mensonges utiles pour le peuple ? » Ainsi, du vieil édifice l’humanisme chrétien entendait garder les fondemens et la structure. S’il bafoue les superstitions, il exalte la piété. S’il se moque des quiddités, des syllogismes, des barbarismes, il ne prétend point supprimer l’École. Il révise la Bible, non le dogme, et, flagellant les vices du sacerdoce, il n’en attaque point l’institution. Il ne veut de réformes que par la hiérarchie et avec la hiérarchie. — D’un geste brusque, Luther a jeté bas toutes ces méthodes. Aux suggestions discrètes, aux compromis, aux ménagemens, une parole âpre oppose un radicalisme hautain, des injonctions ou des menaces ; aux vérités en demi-teinte qui s’insinuent, des formules intégrales et brutales qui s’imposent. Et à quels pouvoirs s’attaque-t-elle ? A cette cour brillante de Rome, tolérante et humaine, ces évêques, généreux et cultivés, qui protègent la culture et ont pris la direction du progrès intellectuel. Et à quels pouvoirs surtout s’adresse-t-elle ?