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qui, en 1521, se changera en dissentiment, puis en opposition ouverte. La rupture bruyante a pu surprendre des observateurs superficiels. Elle était en germe dans cette abstention volontaire et réfléchie qu’Erasme s’était imposée au premier contact.

Aux avances de Luther et de Melanchthon il avait répondu, poliment, par un refus. Et quelque effort que fit, dans la suite, le parti luthérien pour l’entrainer, il demeura inébranlable. On le pressait de tous côtés, d’Allemagne comme de Bohême, et ne pouvant le conquérir, les évangéliques s’efforçaient de le compromettre. Son parti était pris, comme sa voie tracée d’avance. Ni les flatteries intéressées, ni les manœuvres, ni les menaces ne l’en détournent. Habilement, il se dégage. « Je n’accuse point Luther, écrit-il en 1518, je ne le défends point et je n’entends point me mêler à ses affaires. » — « Je ne suis ni son accusateur, ni son défenseur, ni son juge, » répétera-t-il en 1520. Indifférence calculée, qui ne l’empêchera point d’agir. Au moins entend-il garder sa liberté. A ses amis, à des prélats comme Marliano, le conseiller de l’Empereur, il écrira : « Aucune manœuvre ne me fera sortir de mon attitude intellectuelle. Je connais le Christ. Je ne connais pas Luther. » Aux amis du réformateur qui le pressent de s’enrôler dans leurs rangs, il riposte froidement : « S’il y a quelque bien dans ses œuvres, je le cueille ; s’il y a quelque mal, je le passe. » A mesure même que le conflit s’aggrave, ces protestations se multiplient. En 1520, Érasme peut être de ceux qui regrettent la bulle de Léon X ; il ne songe point un instant à s’associer à une révolte, il conseille la soumission. Il refuse de recevoir Hutten à Bâle. Visiblement, le grand érudit ne veut être ni entraîné, ni poussé dans la « faction nouvelle. » Il peut continuer encore à défendre Luther avec habileté et avec courage. Il n’est pas luthérien.

Lâcheté, envie, amour de l’argent et des honneurs, scepticisme d’épicurien et de négateur ?... Hutten et Luther l’ont souffleté de ces outrages, et ces accusations ont trouvé un écho dans l’histoire. Erasme eut lui-même à s’en défendre. Mieux que ses paroles, sa vie suffit à le justifier. Certes, on ne saurait nier que l’amour du repos, l’influence de ses protecteurs, une rancune secrète contre une renommée déjà égale à la sienne n’aient pesé sur son attitude. Mais ces petitesses n’expliquent point les préférences d’un grand esprit. A l’homme qui défendit Luther