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beaucoup la cause de Luther. Mais Érasme, c’était l’humanisme international, et par lui, avec lui, l’Europe savante venant à la Réforme. Aussi, rien ne semblait plus naturel que d’arriver à une entente. Mêmes aspirations : le retour à l’Évangile ; mêmes ennemis : la scolastique et les moines. Ces raisons, des amis communs, Spalatin, Lang, se chargeaient de les faire valoir. Dès 1516, le premier avait transmis à Érasme les jugemens de Luther sur son œuvre, se flattant peut-être de le gagner à la doctrine de la justification. Le 13 novembre 1517, une nouvelle lettre de Spalatin appelle son attention sur la controverse luthérienne. Érasme eut-il alors connaissance des thèses célèbres contre les indulgences ? Nous l’ignorons. Personnellement, Luther se prêtait peu à ces démarches. Mais au début de 1519, les instances de Mélanchthon, surtout les controverses qui engageaient définitivement la lutte, devaient l’amener à une autre attitude. Le 28 mars, il écrivit à Érasme. Sous des éloges savamment calculés, c’était une proposition d’alliance qu’il venait offrir.

Le grand humaniste n’avait point attendu pour se faire une opinion. S’il proteste déjà qu’il ne connaît pas Luther, qu’il n’a pas lu ses livres, « sauf une ou deux petites pages, » il est plus informé qu’il ne veut le paraître, et c’est d’une curiosité bienveillante qu’il observe et s’instruit. Peut-être, dès 1517, avait-il eu l’écho des leçons sur saint Paul et songeait-il à leur succès en commençant ses Paraphrases par les Épîtres. A coup sûr, en 1518, il regarde vers Wittenberg. L’année suivante, il lit les Commentaires sur les Psaumes et la Tessaradecas. Il se fait renseigner sur l’état religieux de la Bohême, suivant ainsi le réformateur dans son évolution vers le hussisme. Et de la vie même du jeune moine, il n’ignore rien. Il loue la pureté de ses mœurs, la sincérité de ses convictions, la puissance de sa foi. S’il remarque déjà la violence de son tempérament, il admire sa science des Écritures et son sens profondément chrétien. Luther ne ramène-t-il point la théologie à ses sources ? N’est-il point le héraut, hardi, passionné, de l’Évangile ? Cette justice, Érasme la lui rendra pendant longtemps encore. En 1519, après la dispute de Leipzig, il écrit à l’archevêque de Mayence : « Luther a de belles clartés de la doctrine évangélique. » En 1520, au lendemain même de la rupture, il rend témoignage à Léon X de sa vie comme de son talent, et à un cardinal, Campeggio,