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phrases très brèves et comme honteuses d’elles-mêmes. De ce drame, Monique fut sans contredit l’acteur principal, bien que, vraisemblablement, les amis d’Augustin y aient aussi joué leur rôle. Sans doute, ils remontrèrent au professeur de rhétorique qu’il nuisait à sa considération, comme à son avenir, en conservant auprès de lui sa concubine. Mais les raisons de Monique étaient plus pressantes et d’une tout autre valeur.

D’abord, il est naturel qu’elle ait souffert, dans sa dignité maternelle, comme dans sa conscience de chrétienne, de subir à ses côtés la présence d’une étrangère, qui était la maîtresse de son fils. Si vaste qu’on suppose la maison, où habitait la tribu africaine, des froissemens étaient inévitables entre ses hôtes. Ordinairement, des conflits d’autorité pour la direction du ménage divisent la belle-mère et la bru qui vivent sous le même toit. Quels sentimens Monique pouvait-elle nourrir envers une femme qui n’était même pas sa bru, et qu’elle considérait comme une intruse ? Elle n’envisageait point, d’ailleurs, la possibilité de régulariser par le mariage la liaison de son fils : cette personne était de condition par trop inférieure. On a beau être une sainte, on n’oublie pas qu’on est la veuve d’un curiale, et qu’une famille bourgeoise qui se respecte ne se mésallie point, en admettant parmi les siens la première venue. Mais ces considérations étaient secondaires à ses yeux. La seule qui ait réellement agi sur son esprit, c’est que cette femme retardait la conversion d’Augustin. À cause d’elle, — Monique le voyait bien, — il ajournait indéfiniment son baptême. Elle était la chaîne de péché, le passé impur, sous le poids duquel il étouffait : il importait de l’en délivrer au plus tôt.

Alors, convaincue que tel était son devoir impérieux, elle n’eut plus de cesse qu’il ne rompît. Afin de le mettre, en quelque sorte, en présence du fait accompli, elle lui chercha une fiancée, avec la belle ardeur que les mères apportent d’habitude à cette chasse. Elle découvrit une jeune fille qui réunissait, comme on dit, toutes les conditions, et qui réalisait toutes les espérances d’Augustin : elle avait une dot suffisante pour n’être pas à charge à son mari. Sa fortune, jointe au traitement du professeur, permettrait au couple de vivre dans une confortable aisance. Des promesses furent échangées de part et d’autre. Dans le désarroi moral où Augustin se trouvait alors, il laissait sa mère travailler à ce mariage. Sans doute, il l’approuvait, et,