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I

Au début de 1520, la royauté d’Érasme est encore incontestée. « Tous les savans, lui avait écrit J. Eck, le 2 février 1518, sauf quelques porteurs de cuculles et quelques théologastres, sont érasmiens. » De Louvain où il réside alors, cette cour intellectuelle va le suivre à Bâle où il se fixe. Bâle, ville cosmopolite, libérale, savante, « où la douceur du ciel s’allie à l’aménité des habitans, » nulle autre capitale n’eût mieux convenu à celui qui ne voulait être « qu’un citoyen de l’univers. » Dans ce centre où se croisent les grandes voies de l’Europe, c’est l’humanisme entier, chrétien et lettré, qu’il représente et qu’il domine. Prodigieux d’activité, appliqué à ses travaux de philosophie,- d’exégèse, de polémique, protégé de Rome, courtisé des rois, loué à l’envi, jusqu’en Espagne, comme le prince des théologiens, consulté de tous, informé de tout, le « divin » Érasme est le souverain qu’on ménage, qu’on adule et qu’on écoute. Comment la France n’eût-elle pas subi l’entrainement ? Pas de pays qu’il n’aimât et n’appréciât davantage. Il y avait séjourné trois années sous Charles VIII, des mois entiers, et à plusieurs reprises, sous Louis XII. Séjours ou voyages lui avaient créé de précieuses amitiés. Des hommes d’Église comme Poncher ou Hüe, des magistrats comme Ruzé et de Loyne, des savans ou des lettrés comme Cop, de Brie, J. de Pins, Nicolas Bérauld, le reconnaissent pour chef ; et il serait facile de retrouver, dans les idées religieuses de Budé, l’influence des Adages ou de l’Enchiridion. » En 1520, la Folie est traduite dans notre langue. Trois ans plus tôt, François Ier avait commencé les démarches qu’il renouvellera à plusieurs reprises pour appeler Erasme à Paris. Vainement d’ailleurs ! Le maître préférait sa liberté. Il n’en garda pas moins pour la science française, pour l’esprit français, une véritable prédilection. Nos qualités répondaient aux siennes, à ce goût de la clarté, de la mesure, de l’éloquence, des idées raisonnables. « Je crains, écrivait-il en 1521, de regretter un jour d’avoir méprisé les offres de la France. » C’était presque une prophétie.

Qu’à Wittenberg, on comprît l’importance d’un tel concours, rien ne le prouve mieux que les efforts tentés pour l’obtenir. L’adhésion de Hutten, du petit cercle d’Erfurt pouvait servir