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élégans de la Cour de Louis XVI furent aux pieds de la spirituelle et séduisante marquise. Elle exerçait un tel pouvoir sur ces messieurs, qu’un jour où elle se trouvait brouillée avec la reine Marie-Antoinette et avec la princesse de Lamballe, et que Sa Majesté, donnant un petit bal, ne la pria point, la marquise se vengea en donnant chez elle un bal magnifique où elle invita tous les élégans de la Cour et de la ville, et pas un de ces messieurs n’osa mettre le pied dans le salon de Marie-Antoinette, craignant de déplaire à la marquise de Coigny.

Elle fut surtout célèbre pour ses charmans bons mots, ses reparties piquantes et enfin ses billets du matin, qui étaient d’une élégance de style, d’une originalité rares. J’en ai lu beaucoup, car elle en écrivait à tout le monde et nommément à ma cousine, qu’elle appelait « l’Excellence de toutes les excellences et la plus excellente. »

Cette femme si élégante, si recherchée, si aimable, avait un défaut dont elle ne put se défaire, dont elle riait elle-même, mais qui la subjugua entièrement, ce défaut fut l’avarice. Déjeuners, diners, soupers étaient rayés de son budget ; la première chose qu’elle avait faite après la mort de son mari, avait été de supprimer dans sa maison, la cuisine. Elle s’invitait chez ses amies et lorsqu’elle était malade à ne pouvoir sortir, elle avait un petit pot dans lequel elle réchauffait sur quelques charbons des restes de volailles ou autres, qu’elle emportait dans son sac à ouvrage des diners qu’elle faisait chez les autres.

Sa vie est remplie de traits semblables. En voici un et non des moins piquans : M. Alfred de Vigny venait d’achever un de ses, ouvrages et demanda la permission à Mme de Coigny de lui en faire la lecture. La marquise accepta avec reconnaissance et invita avec M. de Vigny quelques amis de la littérature à diner chez elle. Pareille chose n’était plus arrivée depuis la mort du marquis ; toute la ville parla de cet événement comme d’un phénomène précurseur de la mort prochaine de la marquise ; ses enfans, dont elle était adorée, en furent très inquiets.

Cependant, le jour du fameux repas arriva. La marquise, pendant toute la lecture qui précéda le dîner, se surpassa en amabilité, en esprit ; ce fut un volcan de bons mots, de remarques gaies et remplies de justesse. La lecture était déjà finie depuis longtemps, sept heures venaient de sonner, le diner n’était pas annoncé et déjà l’on commençait à se regarder avec quelque