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parcouru les feuilles qui paraissent à Bruxelles, s’occupe de préférence de celles de la France.

Si quelques dames arrivent de Bruxelles pour faire leur cour à la reine des Belges, Sa Majesté les reçoit avec cette grâce qu’elle a héritée de sa mère ; mais, à Laeken comme à Saint-Cloud, ce sont à peu près toujours les mêmes personnes. Là, toute la haute aristocratie est orangiste comme on est carliste ou henriquinquiste en France.


2 septembre. — J’ai rencontré, dans la rue de Varenne, la duchesse de Liancourt ; elle arrivait de la campagne pour voir la comtesse de Narbonne-Pelet, son amie intime. Elle me dit, en s’arrêtant dans la rue, qu’elle avait trouvé son amie très fatiguée.

— Vous n’êtes cependant point inquiète pour la comtesse ?

— Je n’en sais rien, me répliqua la duchesse, je n’en sais rien ; je l’ai trouvée bien changée, et, si je n’avais pas tout ordonné pour retourner chez moi à la campagne dans une heure, j’aimerais tout autant rester à Paris.

Effectivement, deux jours après cette conversation, Mme de Liancourt revint en toute hâte à Paris auprès de Mme de Narbonne qui, deux heures après, allait expirer dans ses bras.

C’est une désolation universelle, tout le monde aimait la comtesse de Narbonne ; elle était si douce, si jolie, si aimable, si bienfaisante, si spirituelle, si instruite, si gaie, si bienveillante, si affectueuse, si désireuse de plaire, d’une humeur si égale ! Tout le monde la gâtait pour être gâté ; on lui faisait mille petites surprises, autant pour lui faire plaisir que pour lui donner une nouvelle occasion de dire des choses aimables et obligeantes ; elle avait le don de prouver à ses amis combien elle était touchée de leurs attentions et cela de la manière la plus gracieuse, la plus spirituelle du monde ; elle leur attribuait mille charmantes idées qu’elle supposait ou qu’elle mettait pour ainsi dire dans la bouche de celui qui lui faisait une petite surprise, au point que la plupart s’en allaient de chez elle tout enchantés d’eux-mêmes et de leur amabilité, car ils finissaient par se persuader qu’ils avaient véritablement eu toutes les intentions que Mme de Narbonne leur attribuait.

Un jour, le comte de Turpin, qui a un tel talent de peintre qu’il peut rivaliser avec les premiers artistes, eut l’idée de peindre