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réveillerai pas avec la République, je prends avant tout le parti de me coucher.


6 juin. — Le gouvernement déploie une force imposante : partout des bivouacs, des canons braqués, ou attelés, tout prêts à se rendre, au premier signal, là où l’on en aurait besoin. On se bat toujours ; les boutiques sont toutes fermées. Je reviens des boulevards ; je me trouvais entre les portes Saint-Denis et Saint-Martin, plusieurs individus s’étaient postés sur cette dernière en tirant sur la troupe qui se trouvait dans la rue et sur les boulevards. Une barricade, avec un groupe nombreux, les défendit pendant quelque temps ; mais, se voyant repoussé de tous les côtés, le groupe a dû se retirer en abandonnant à la troupe de ligne la barricade et les frères placés en haut de la porte. Le colonel du régiment les fit descendre et fusiller sur-le-champ.

Comme des coups de fusil sifflaient de tous les côtés et que j’avais rendez-vous chez la marquise de Caraman, dans notre faubourg, j’allai retrouver mon cabriolet pour descendre le boulevard des Italiens et me rendre dans la rue de Grenelle. Au coin de la rue de Richelieu, je rencontrai le Roi précédé et suivi de plusieurs détachemens militaires et de garde nationale. En tête de la troupe, se trouvait le comte de Chabannes, qui ouvrait la marche en uniforme de colonel. Il me salua en souriant et en haussant les épaules. Le Roi et le Duc de Nemours me rendirent mon salut avec un air de contentement et de triomphe. Parmi les aides de camp, le seul qui eût l’air triste, c’était M. de Laborde. Le comte de Chabot passa si près de mon cabriolet qu’il put me tendre la main en disant :

— Cela va bien, nous n’avons plus rien à craindre.

Le rappel avait battu aussi à la campagne et les gardes nationales de la banlieue s’était mises en mouvement. Plusieurs bataillons sont arrivés sur la place des Victoires, où ils ont été accueillis avec joie et cordialité par leurs frères de la garde nationale de Paris. G*est eux qui ont le plus souffert à l’affaire du Cloitre Saint-Merry. Le mouvement général des troupes avait principalement pour but de cerner les postes occupés par les insurgés, de manière à leur fermer toute retraite. Cette tactique a eu, non sans beaucoup de peine, un complet résultat sur la plupart des points. Le passage du Saumon était enlevé à quatre