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dans beaucoup de rues ; on battit la générale pour réunir la garde nationale ; le gouvernement se trouvait attaqué comme celui de Charles X ; on prit la poudrière, déjà on avait désarmé le poste de la Banque et cela sous la direction d’un colonel polonais, qui voulait s’emparer de l’argent qu’il y avait. On parvint cependant à le repousser lui et ses satellites. La Mairie aussi a manqué être prise par une bande ayant à sa tête un élève de l’École polytechnique, qui venait parlementer au nom du gouvernement provisoire.

Cependant le maréchal Soult donnait ordre aux troupes stationnées à Paris et dans les environs de prendre les armes. A sept heures du soir, à l’Ambassade, nous venions de nous lever de table, lorsqu’un grand nombre de canons avec leur escorte, la mèche allumée, passèrent au grand galop devant la terrasse de notre hôtel qui donne sur l’esplanade des Invalides. Nous entendions en même temps les fusillades plus ou moins rapprochées et la générale qu’on battait dans les rues de notre quartier.

A huit heures et demie, nous arrivèrent Mmes les comtesses de Vaudreuil et de Vignolles, très effrayées ; elles ne restèrent que très peu de temps, de peur d’être coupées soit par l’émeute, soit par l’artillerie qui obstruait toutes les issues. Il fut décidé cependant que nous recevrions, malgré le canon qui grondait, toutes les personnes qui viendraient à notre réception, mais nous étions persuadés que nous prendrions notre thé et nos brioches, seuls, en partie carrée. Plusieurs cependant furent assez courageuses pour venir non seulement de notre quartier, mais même de l’autre côté de la Seine : d’abord le baron et la baronne de Werther avec leur fille, l’ambassadeur de Sardaigne avec la marquise de Brème, la princesse de Béthune avec sa fille, la vicomtesse Alfred de Noailles avec Mme Cécile, Mme de Vaudreuil, la belle-sœur de celle que j’ai nommée tout à l’heure, la comtesse de Virieu avec ses deux filles, la marquise de Caraman ; en fait d’hommes, les ducs de Noailles, de Montmorency, de Caraman, puis le comte Medem, le marquis de Bartillat avec son fils, Jean Greffulhe, le comte de Grigny et autres jeunes gens. On courait aux croisées pour voir si l’on n’avait pas encore mis le feu aux quatre coins de Paris. Le canon grondait toujours et, malgré cela, la conversation fut encore assez animée. Voilà une belle journée, j’en suis fatigué et ne sachant pas trop si je ne me