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lesquels on distinguait le polonais et celui de la nouvelle Germanie : rouge, noir et or. Il fut également parlé du haut de cette tribune des fautes du gouvernement, de l’inexécution de ses promesses et l’on proposa de proclamer la République, de mener le général de La Fayette à l’Hôtel de Ville et de là aux Tuileries, proposition qui fut accueillie par des cris de : Vive la République ! A bas Louis-Philippe ! Un fiacre fut aussitôt dételé. La Fayette y monta plus mort que vif, à ce que m’ont assuré les personnes qui l’ont vu dans cette singulière équipée ; de la véritable canaille entourait ce fiacre avec son héros dedans ; des gens déguenillés le traînaient et le héros des deux mondes salua ses chers amis, tout pâle, tout tremblant, tout défait.

Dans ce moment, on aperçut plusieurs drapeaux rouges dont l’un portait l’inscription : La liberté ou la mort et un autre surmonté d’un bonnet rouge, autour duquel l’on dansait la Carmagnole, accompagnée de chants révolutionnaires. Parmi ces gens, se trouvait une femme qui proposa d’ôter le coq des drapeaux et de le remplacer par un crêpe noir. Cette proposition fut immédiatement exécutée ; on couronna aussi d’immortelles le bonnet rouge et les chefs de la révolte promirent le pillage à la populace.

Sur ces entrefaites, les dragons arrivèrent et chargèrent les mutins ; on tira de part et d’autre deux cents coups environ. Le désordre et la confusion se répandirent partout, des barricades furent improvisées, des jeunes gens, dans une exaltation difficile à dépeindre et armés de pistolets chargés, faisaient entendre les exclamations les plus singulières.

— Aux armes ! criaient-ils ; on nous massacre. La Fayette vient d’être assassiné par les dragons ; il faut le venger. A l’Hôtel de Ville, à l’Arsenal !

Ils s’adressaient surtout aux gardes nationaux et leur disaient :

— Nous abandonnerez-vous ? Nous laisserez-vous massacrer ? Venez avec nous ou donnez-nous vos armes.

Dès ce moment, les révoltés parcoururent les rues Saint-Antoine, Saint-Denis, le Marais et les faubourgs aux cris répétés de : « Aux armes ! »

En quelques instans, la terreur devint générale. Partout où passaient des bandes d’agitateurs, les réverbères étaient brisés ; plusieurs postes furent désarmés ; des barricades s’élevaient