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de la rue de Grammont, où se trouve le Club des étrangers, les manifestans voulurent forcer le duc de Fitz-James et les autres membres du Club à ôter leur chapeau au moment où passait le corbillard du général Lamarque. Ces messieurs et le duc de Fitz-James surtout, ne voulant absolument pas se soumettre aux ordres de la populace, des pierres furent lancées sur le balcon et dans les croisées de la maison ; en une minute, toutes les vitres furent cassées, de même une cinquantaine de chaises qui se trouvaient au café Tortoni. Les tapageurs s’emparèrent des débris de ces chaises et s’en servirent en guise d’armes ; puis ils escaladèrent le Club, y brisèrent les glaces et autres objets et ce ne fut qu’après s’être convaincus que le duc de Fitz-James et ses amis avaient pris la fuite par une autre porte qu’ils se retirèrent pour continuer la marche funèbre. Je tiens ces détails de Greffulhe, qui était présent à la scène et qui fut légèrement blessé à la main gauche par une pierre lancée du boulevard. Il est au nombre des courageux qui sont venus nous voir dans la soirée.

Le corbillard éprouva quelques difficultés pour arriver à la place du pont d’Austerlitz, à cause du rétrécissement du chemin fermé par le pont du canal de la Bastille. C’est sur ce pont qu’aurait dû avoir lieu la grande scène toute préparée, mais qui n’a réussi qu’en partie.

Le plan était de se faire attaquer et charger par la troupe de ligne, de tirer sur elle et de la forcer par là à faire la même chose. De cette manière, les gardes nationaux et la ligne qui se trouvaient dans le cortège, derrière les tapageurs, auraient été exposés au feu tout comme les républicains et on avait espéré que, plutôt que de se faire tuer ainsi, ils passeraient du côté de ceux-ci ; on avait encore le projet de jeter en même temps le cercueil dans la Seine, afin d’augmenter la confusion et d’irriter le peuple.

Mais ce plan, dont la police était avertie, fut entièrement déjoué. On coupa la foule, de manière qu’elle se trouva isolée et sans armes. Cependant, après une espèce de nécrologie du général Lamarque lue par M. Lepelletier du haut d’une estrade érigée sur cette place et tendue en noir, un jeune homme vêtu en noir prononça un discours très véhément dans lequel il proposa de porter le corps du général au Panthéon. Le corbillard fut à l’instant couvert des drapeaux des réfugiés étrangers, parmi