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Un réverbère rouge frappe vos yeux ; il désigne le bureau de secours contre le choléra. C’est là qu’on trouve des médecins, des médicamens ; combien de mères, de fils, de frères, de pères, de maris et d’amans ont vainement espéré y trouver le salut d’un être cher !

Tant d’horreurs devraient anéantir les passions de l’homme, imposer silence à l’esprit de parti. Tout au contraire, c’est la même rage des uns contre les autres ; c’est un plaisir infernal que d’apprendre la mort de celui qui, pendant sa vie, professait d’autres opinions que vous ; il ne vous a fait personnellement aucun mal ; vous ne l’avez pas même connu et vous éprouvez une véritable satisfaction en écoutant la nouvelle de son trépas.

Le gouvernement a eu la faiblesse, la gaucherie de ne point accepter l’aumône de la Duchesse de Berry, envoyée de sa part à M. de Chateaubriand pour être distribuée dans les douze arrondissemens de Paris. M. de Chateaubriand en est furieux :

— Comment, dit-il, on refuse le denier de la veuve !

Il a fait insérer aujourd’hui dans la Quotidienne une lettre fort désagréable pour le gouvernement.


5 juin. — Déjà, depuis quelques jours, on avait annoncé un mouvement républicain, à l’occasion des funérailles du général Lamarque. Le convoi, partant de sa demeure, passa par la place Vendôme ; là, des gens en veste qui précédaient et suivaient en foule le cortège de troupes et de gardes nationaux poussèrent des cris séditieux : Vive la République ! A bas Louis-Philippe ! A bas la poire molle ! Pendant qu’ils poussaient ces cris, on agitait au milieu d’eux un drapeau rouge portant l’inscription : « Fraternité, liberté. » On força le cortège à faire trois fois le tour de la colonne de la place Vendôme, ce qui devait commémorer les adieux de Lamarque à Napoléon, le dernier hommage du général à son empereur. On obligea aussi le poste militaire placé à l’état-major, qui se trouve sur cette place, à se mettre sous les armes et à battre la caisse, honneur qu’on ne rend qu’au Roi seul.

Cependant les groupes des perturbateurs, des criailleurs augmentaient à chaque pas et, déjà, on remarquait parmi eux un grand nombre de gens bien vêtus, quelques uniformes d’infanterie et d’artillerie de la garde nationale, des élèves de l’École polytechnique et de l’École d’Alfort. Arrivés au boulevard, vis-à-vis