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chez Mme Alfred de Noailles, qui reçoit ses amis tous les samedis matin. Il nous raconta le refus de son médecin et ajouta :

— Je sais bien une chose, c’est que jamais une épidémie ne m’attrapera plus : je saurai la fuir à temps.

A son retour chez lui, vers six heures, sa pauvre fille commençait déjà à souffrir ; mais les symptômes étaient encore si peu alarmans que Mme de Labriche la quitta à neuf heures pour faire ses visites. Elle se trouvait encore à minuit chez la princesse de Vaudémont, à qui elle dit que sa petite-fille de Champlâtreux était malade et qu’elle irait la voir avant de se mettre au lit. Lorsque la pauvre grand’mère arriva chez sa petite-fille, le choléra s’était déjà déclaré ; le mal, malgré tous les soins, fit de tels progrès que, trois heures après, il ne restait de Mme de Champlâtreux qu’un cadavre défiguré. Il y a de quoi devenir fou de douleur.


17 avril. — Nous sommes à 45 000 décès depuis le début de l’épidémie. Le jour où l’on avait annoncé dans le Moniteur 1 009 malades, il y avait eu 1 064 morts et, depuis, le nombre a été de 800, 900, 700 et enfin 600 depuis peu de jours. Le gouvernement compte qu’à la disparition du fléau, il y aura eu près de 30 000 décès. Nous ne sommes encore qu’à la moitié. On était dans la ferme persuasion qu’à Paris, le choléra ne serait rien ; à entendre messieurs nos médecins, ils étaient sûrs de le guérir comme un rhume de cerveau ; or, l’un d’eux avouait l’autre jour que, pour son compte, il avait eu 800 cas mortels et que ces malades avaient expiré sous ses expériences. Après tant de malheureux essais, il n’est pas plus avancé qu’au premier malade qu’il a traité.

La Duchesse de Berry ayant envoyé 12 000 francs à M. de Chateaubriand pour être distribués en secours, les ministres ont refusé le don. Le vicomte s’est alors adressé aux maires des arrondissemens. Ils lui ont répondu qu’ils n’osaient accepter ce que le gouvernement venait de refuser. Devant cette réponse, il a pris le parti de distribuer lui-même la somme. Mais il annonce une brochure qui sera, paraît-il, virulente.

Le prince de Castel-Cicala, ambassadeur de Naples, vient de mourir, non du choléra, mais d’une inflammation du tube intestinal, à ce que les médecins prétendent. Il n’est pas moins mort et la pauvre princesse et Mlle Dorothée Ruffo, sa fille, sont