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d’heures. Mme de Couronnel, fille du duc de Laval-Montmorency, au moment d’accoucher, a eu la cholérine.

— Sa pauvre mère, m’a dit le duc, et Mme de Mirepoix ont manqué mourir de frayeur ; heureusement pour nous tous, ma pauvre fille va mieux en ce moment.

Un médecin me dit dernièrement :

— Mangez, buvez tout ce que vous voudrez, sans faire d’excès cependant ; enfin, vivez comme à l’ordinaire et vous n’aurez pas le choléra, si vous n’avez pas la disposition ; mais, si la disposition est dans votre corps, il n’y a rien au monde qui vous préservera, et vous êtes perdu sans retour si le choléra asiatique vous prend, car jamais personne n’en est revenu.

— A la bonne heure, docteur, vous parlez franchement, en honnête homme.

— Avez-vous peur ? me demanda-t-il.

— Pas le moins du monde ; il faut bien mourir une fois ; je ferai comme les autres.


16 avril. — Mme de Champlâtreux, fille cadette du comte Molé, mariée depuis deux ans à peine à M. de La Ferté-Meun, frère du marquis de ce nom, qui a épousé la sœur ainée, vient de mourir en peu d’heures du choléra. Son père l’idolâtrait ; c’est à elle qu’il voulait léguer son nom et sa belle terre de Champlâtreux, Elle n’est plus, et laisse après elle une petite fille âgée de neuf mois. La pauvre femme n’avait pas vingt ans. Le désespoir de la famille est difficile à dépeindre ; la pauvre mère est comme folle et Mme de Labriche, la vieille grand’mère, se meurt de chagrin.

Mme Molé et ses deux filles avaient une peur horrible de la maladie régnante et décidèrent de partir pour la Suisse. Mme de Labriche, leur mère et grand’mère, ne voulant pas se séparer d’elles, se décida à les accompagner, bien que n’approuvant pas ce voyage, à la condition toutefois qu’on emmènerait le médecin ordinaire de la maison. Celui-ci, non seulement déconseilla le départ, mais encore déclara au comte Molé qu’il ne pourrait quitter Paris en ce moment, sans se faire accuser par ses confrères d’avoir déserté son poste au moment du danger. Le projet de voyage fut donc abandonné.

Le jour même de la mort de la pauvre Mme de Champlâtreux, le samedi, j’ai rencontré, vers les quatre heures, M. Molé