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9 avril. — Le baron de Delmar, riche étranger, d’origine prussienne, établi à Paris, nous a donné, ces jours derniers, un superbe concert : on y a exécuté La Création de Haydn avec la plus rare perfection. Rossini en était le directeur, ayant autour de lui Lablache, Rubini, Consul, Benatti et autres artistes et amateurs, parmi lesquels le duc de Montesquiou-Fezensac, qui conduisait les chœurs d’hommes. Du côté des dames, il y avait, outre les artistes, Mme de Delmar, la duchesse de Rauzan, la marquise de Caraman, Mlle de Fezenzac, la comtesse Potocka, la comtesse de La Redorte, Mlle Greffulhe et la duchesse de Vallombrosa ; une soixantaine de musiciens composaient l’orchestre ; en un mot, rien ne manquait à un ensemble parfait, à une exécution qui ne laissa rien à désirer. Il y avait donc de tout, musique divine et ce qu’il faut pour la faire valoir, et cela dans un local admirable, magique, et pour la vue des spectateurs, un demi-cercle de femmes charmantes sur une estrade. Le choléra semblait bien oublié.

Dans les hôpitaux, on compte de 1 000 à 1 200 malades par jour, mais on n’en avoue que 826 dans le bulletin d’aujourd’hui. Les cholériques ne sont point spécifiés, car le nombre serait par trop effrayant. Cependant, la vie mondaine n’est changée en rien ; visites, dîners, spectacles, soirées, concerts, enfin réunions de toute espèce se continuent comme à l’ordinaire.

Nous avons depuis hier un cholérique à l’ambassade : c’est le domestique du baron Koller, qui est malade, à ce qu’il paraît, pour avoir bu une trop grande quantité d’eau de framboises ; on lui a mis cinquante sangsues sur le bas-ventre, on lui donne des infusions de menthe à boire avec quelques gouttes d’extrait de camphre.

Jusqu’à présent, les médecins sont très malheureux dans leurs essais ; les malades meurent comme des mouches, on ne comprend rien à cette maladie. Koreff m’a dit hier que les autopsies n’apprenaient rien du tout, qu’il avait ouvert dans la matinée d’hier dix cadavres de cholériques et qu’il n’y avait trouvé aucun symptôme de destruction intérieure, aucune lésion dans aucune partie et que tout est encore mystère dans la maladie.

Le comte de Caumont-La Force a été attaqué et est resté pendant trois jours entre la vie et la mort. Koreff a été assez