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n’ont apporté de changement dans leur régime. Ils n’ont même pas cessé de prendre de l’eau glacée pendant et entre les repas. Sa Majesté nous a soutenu qu’il fallait avant tout ne rien changer à sa manière de vivre, que leur médecin le lui avait fortement recommandé et qu’elle abondait dans ce sens. Sa Majesté nous a rassurés aussi sur les empoisonnemens qu’elle taxe de pure invention. Elle prétend que les recherches minutieuses de la police ont prouvé que ce n’était qu’une très mauvaise plaisanterie imaginée par quelques individus ou bien un moyen de répandre la terreur en jetant de la poudre blanche tout à fait inoffensive sur les comestibles et dans le vin pour faire croire qu’il n’y a point de choléra, mais bien des empoisonneurs.

— Il est déplorable, nous a dit la Reine, que le peuple de Paris ajoute foi à des mensonges et y trouve prétexte pour se livrer à des excès atroces.

Mme du Roure m’a parlé de l’attaque de choléra qu’elle a eue et dont elle a heureusement conjuré les effets en provoquant par tout son corps une forte transpiration qu’elle a maintenue pendant seize heures. J’ai su par Madame Adélaïde qu’il y a eu six cas dans la domesticité du château : deux des malades sont morts ; les autres ont été sauvés.

Nous avons fini notre soirée chez la marquise de Bellissen. Chaque personne qui arrivait nous apportait une mine de circonstance et quelque histoire épouvantable. La plus écoutée était celle qui donnait sur l’épidémie les détails les plus sinistres. Dieu ! combien, par le temps où nous sommes, sont heureux les gens sans imagination ! A quoi bon exagérer le mal quand il est déjà si terrible ?


7 avril. — Malgré le choléra, il y avait foule hier chez nous. La seule chose que j’aie remarquée, c’est qu’on a pris deux fois plus de thé qu’à l’ordinaire. Au reste, on n’a servi ni glaces ni boissons acides ou glacées. On était d’une gaîté folle, et cependant la journée d’hier est faite pour inspirer les plus tristes, les plus douloureuses réflexions sur les forfaits qu’engendre l’esprit de parti. Les perturbateurs voyant que le choléra ne répandait pas assez de terreur dans le public, ont imaginé d’augmenter la mortalité en empoisonnant le vin, les fontaines, etc. : on a poussé la cruauté jusqu’à distribuer dans les rues des bonbons