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la salade, les truffes, et les glaces sont abolies ; tout le reste est comme à l’ordinaire. La progression de la maladie a été particulièrement sensible entre hier et avant-hier. Hier, il y a eu deux cent un cas, tandis que, les jours précédens, il n’y en avait eu que cinquante au plus. On compte en tout quatre cent cinquante malades et cent quarante et quelques morts.

Le bas peuple, ici comme partout, croit qu’on empoisonne les fontaines, le pain, etc., etc. Les chiffonniers, qui ne trouvent plus autant d’immondices à ramasser dans les rues depuis qu’on les nettoie un peu plus soigneusement, n’ont pas de quoi vivre et s’ameutent ; ils brisent les tombereaux de la nouvelle entreprise et les jettent dans la Seine, trop heureux le cheval et son conducteur s’ils n’éprouvent pas le même sort.

Il y a bien quelques personnes qui désertent Paris, mais pas autant que j’aurais cru, surtout avec ce beau temps et à l’approche de la saison qu’on aime à passer à la campagne. Nous autres, nous resterons tranquillement ici, nous avons un beau jardin et une grande et belle maison facile à aérer. Personne de nous n’a peur.


3 avril. — Nous avions le projet de passer une partie de notre soirée chez la Reine, mais les attroupemens étant devenus plus forts et plus sérieux dans la journée, nous avons remis notre visite à un autre jour. On nous dit que la Cour n’est pas inquiète, mais que la Reine est indignée contre les misérables qui profitent d’une calamité publique terrible, pour agir contre le gouvernement. Ayant renoncé à paraître aux Tuileries, nous allâmes tout droit chez Mme de Labriche, qui nous avait priés pour entendre un superbe concert. Entre le chant divin de Rubini, de Lablache, et la musique de Kalkbrenner, des nouvelles nous arrivèrent de tous les côtés sur les mouvemens dont les rues Saint-Denis, Saint-Martin, Saint-Antoine, les places du Châtelet, de l’Hôtel-de-Ville et de Grève étaient le théâtre.

En commentant ces rumeurs, on fut conduit à parler de fontaines empoisonnées et du vin mêlé d’arsenic qu’on accuse le gouvernement de laisser vendre et qui tue ceux qui en font usage. Mme de Lespinasse a raconté qu’une amie de sa femme de chambre est morte dans les crampes les plus horribles après avoir bu du vin qui provenait de la boutique du marchand qui fournit sa maison. Naturellement, elle a donné l’ordre de ne